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29 septembre 2013

Entretien : Najy BENHASSINE, Ingénieur et économiste: «Changeons de cap avant qu’il ne soit trop tard !»

Entretien réalisé par Brahim Taouchichet
Fondateur et coanimateur du groupe Nabni, créé il y a juste trois ans, Najy Benhassine fait partie de la nouvelle génération post-indépendance qui brûle d’en découdre avec les pesanteurs politique, économique et sociale considérant les ressources humaines et les richesses naturelles dont dispose le pays. Pourquoi l’Algérie ne parvient-elle pas à se frayer une place par les Brics ou pays émergents, alors que théoriquement, tout concourt pour cela ? «En comparant l’Algérie, à la fois à des pays partis du même point (voire avec de plus grands handicaps), il y a 50 ans, et à d’autres pays à revenu intermédiaire, deux constats s’imposent. En premier lieu, malgré une rente importante, notre pays n’a pas connu la trajectoire de développement qu’il aurait pu atteindre compte tenu de son immense potentiel. En effet, durant la même période, la Corée a vu son revenu par habitant multiplié par 16, la Malaisie par 5 et la Turquie par plus de 3»(rapport Nabni 2020). Avec son groupe, il veut porter haut la voix de la société civile et se faire entendre par ceux qui nous gouvernent. Il se place en dehors des querelles politiques pour une démarche concrète et s’insurge contre le pessimisme ambiant, le défaitisme, l’attentisme… Il exprime dans cet entretien les idées «novatrices» pour lesquelles milite Nabni. Najy Benhassine, la quarantaine, est notamment l’auteur d’un rapport de la Banque mondiale sur la région Mena dans lequel il décortique les tares de systèmes politiques sclérosés et appelle à des réformes profondes et la réhabilitation du privé qui peut jouer un rôle majeur dans la croissance. «Nous œuvrons à ouvrir un débat national sur le chemin à suivre, un chemin différent», nous dit-il.

Le Soir d’Algérie : Lors de la dernière rencontre-débat du «Que faire ?» au «Comment faire ?, vous sembliez quelque peu agacé et dans le même temps passionné par le sujet. Est-ce dû à l’impatience de voir vos propositions prises en compte et traduites sur le terrain puisque tel est l’objectif de Nabni à travers son copieux rapport «Algérie 2020» ?

Najy Benhassine :
Passionné, certainement ; agacé, pas vraiment ; impatient que notre pays adopte une stratégie de développement ambitieuse, oui. Le temps presse, la fenêtre d’opportunité qu’offre l’abondance de nos ressources financières ne durera pas éternellement. Nous l’avons appris à nos dépens au milieu des années 1980, mais beaucoup semblent avoir oublié cette expérience douloureuse et semblent compter sur une prospérité renouvelée et illimitée provenant de notre sous-sol. Que notre sous-sol nous réserve une belle surprise, on l’espère tous, mais ne comptons surtout pas dessus, surtout pas ! Faisons l’inverse : en l’état actuel de nos réserves, du niveau de production et du rythme auquel nous consommons l’énergie, il faut tabler sur une fin relativement proche de nos ressources et adopter les choix et réformes nécessaires pour être au rendez-vous de cette inévitable échéance. Sortons progressivement de cette dépendance sur les 5 à 10 ans qui viennent - c’est l’objet du rapport Nabni 2020. Notre pays doit entamer ce «virage» au plus vite en consacrant, à cette fin, une partie des excédents actuels. Nous pouvons encore le faire sans la pression et l’urgence que nous imposeraient, dans moins d’une décennie, des contraintes financières très sévères. Même si notre économie est à l’abri d’une crise dans le court terme, il y a cependant urgence aujourd’hui, d’autant plus que le virage à effectuer sera long et que la diversification de l’économie ne pourra se faire avant 5 ou 10 ans. ça n’est valable qu’en l’entamant aujourd’hui, que nous pourrons seulement commencer à en récolter les fruits dans 3 à 5 ans. Mais retarder le changement de cap, continuer à dépenser, à distribuer la rente et à satisfaire toutes les demandes est certainement plus confortable du point de vue politique. Cette option de la facilité ne fera que rendre la tâche plus dure pour ceux qui n’auront plus d’autre choix que d’entamer ces réformes à l’avenir, et cela en augmentant dangereusement le coût social. Optons pour des choix difficiles et une stratégie ambitieuse aujourd’hui, même si cela nécessite des sacrifices et des efforts colossaux.
Le virage n’en sera que plus confortable et nous éviterons le risque d’une crise qui pourrait être dangereuse pour notre cohésion sociale. Nabni ne prétend pas détenir la vérité ni de solutions miracles, mais nous œuvrons à ouvrir un débat national sur le chemin à suivre, un chemin différent. Nous militons pour que ce débat et ce changement de cap aient lieu au plus vite. Là est notre impatience.

Certains participants, dont Slimane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie et auteur de La martingale algérienne, jugent que vos propositions ont déjà été faites par le passé par les cadres de sa génération, mais ce fut peine perdue. Quelle réponse auriez-vous à lui opposer ?
Nous ne prétendons pas que toutes nos propositions sont nouvelles, bien entendu. Plusieurs ont été formulées par le passé, notamment par les cadres de sa génération et en particulier dans le domaine des réformes de gouvernance que nous préconisons. Essayer de reprendre dignement ce flambeau de «militants des idées» est au cœur de notre action. Et s’ils considèrent que c’était peine perdue pour eux (nous ne le pensons pas), eh bien nous aimerions rêver à notre tour et avoir l’audace d’espérer que nous y arriverons ! Beaucoup de nos propositions s’inspirent également d’expériences plus récentes à travers le monde. Les vingt dernières années ont été riches en expériences. Le monde a changé, et on a beaucoup appris des échecs et réussites de dizaines de pays. Nous en savons plus sur ce qui marche, ce qui ne marche pas, et les conditions de réussite des stratégies de développement dans des contextes aussi différents que ceux de la Malaisie, de la Turquie, du Brésil, de la Chine, de l’Indonésie, de l’Europe de l’Est, du Mexique, ou même de nos voisins du Maghreb ou d’Afrique. Nous nous sommes inspirés d’un tas d’expériences avant de proposer les 50 chantiers de Nabni 2020 ou les 100 mesures de Nabni 2012 (nos deux publications, disponibles sur www.nabni.org). De plus, notre approche repose sur un rejet du «il n’y a rien à faire, tout doit changer». Ce fatalisme qui veut qu’il est inutile de proposer des solutions, car sans «changement global», tout effort est destiné à l’échec, est exactement ce contre quoi nous militons. Attendre que le contexte soit idéal, que la gouvernance soit parfaite, que par magie, tout un «système» va se transformer pour laisser place aux conditions idéales pour mener des politiques publiques efficaces, contribue à nourrir un immobilisme délétère pour l’avenir de l’Algérie. Par ailleurs, il y a des dizaines de mesures «techniques» à mettre en œuvre qui peuvent améliorer le quotidien des citoyens et qui peuvent changer les incitations des responsables (le chapitre Gouvernance de Nabni 2020 et les chapitres thématiques en contiennent plusieurs). Autant nous proposons un projet global dans Nabni 2020, autant nous sommes convaincus que, pour prendre un exemple d’actualité, mettre en place des réformes à la Pharmacie centrale des hôpitaux pour que les ruptures de stocks de médicaments essentiels cessent, ne requiert pas d’attendre que la gouvernance de toutes les institutions algériennes se redressent. Il y a beaucoup à faire, même si le nœud réside effectivement souvent dans la mauvaise gouvernance publique.
Nous essayons également de proposer des solutions innovantes dans le domaine de la gouvernance, qui reposent en particulier sur l’implication des citoyens et de la société civile pour rendre l’Etat plus redevable, sans attendre le changement «venu d’en haut». J’invite les lecteurs à consulter le chapitre Gouvernance de Nabni 2020 pour en savoir plus.

Alors en quoi l’initiative Nabni est-elle innovante ? Est-ce par sa démarche ou bien dans les idées qu’elle met en avant dans le projet «Algérie 2012» suivi de «Algérie 2020» ?
Nabni n’est évidemment pas le seul groupe qui propose des idées ou des réflexions. Mais nous voulons innover sur plusieurs plans : d’abord en offrant des propositions dans des domaines aussi divers que la gouvernance, l’économie, la santé, l’éducation, l’urbanisme ou la culture ; et surtout en identifiant les liens entre tous ces sujets, pour offrir une approche globale. Aussi, nous avons l’ambition de construire un think-tank participatif et d’être une initiative citoyenne inclusive et ouverte, reposant sur le web 2.0. Par le biais de notre site, www.nabni.org, ou de notre page Facebook nabni 2012, les citoyens peuvent réagir à nos propositions, suggérer des idées et interagir avec les membres de l’initiative. Le collectif est aussi ouvert aux membres, quels que soient leur lieu de résidence, leurs convictions politiques ou les domaines sur lesquels ils aimeraient contribuer. Il suffit juste d’adhérer à notre charte de gouvernance et notre règlement intérieur. Nabni a aussi l’ambition de créer des liens entre l’expertise algérienne et la société, où qu’elle se trouve (outre la majorité qui se trouve en Algérie, nos membres sont présents en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe et en Amérique du Nord). Nous voudrions faire plus bien sûr, être plus présents sur le terrain, intégrer encore plus de personnes dans nos réflexions via le web et accroître les opportunités de débats avec les citoyens dans des rencontres dans les universités, dans toutes les régions du pays. Beaucoup reste à faire de ce côté-là.

Cela fait 3 ans que Nabni a été lancée, qu’en est-il de l’idée de départ et la réalité d’aujourd’hui du fait de votre expérience pratique et la réalité du terrain ?
Lors du lancement de Nabni en avril 2011, nous nous étions fixé des objectifs : la publication de deux rapports majeurs, Nabni 2012, suivi de Nabni 2020 ; le développement d’une «communauté Nabni» de volontaires qui contribuent à nos travaux ; la construction d’une image de contributeur crédible aux débats d’idées avec une exigence de rigueur ; s’établir comme acteur de la société civile ; et, enfin, réussir à combattre le fatalisme ambiant et la méfiance des citoyens vis-à-vis de toute initiative émanant de la société civile. Je crois que nous pouvons affirmer que, dans l’ensemble, nous avons atteint ces objectifs initiaux. Le plus important est probablement celui du lien de confiance qui s’est créé entre les membres — certains ne se sont jamais rencontrés —, et de la crédibilité que nous avons acquise comme contributeur rigoureux aux débats d’idées. Mais rien n’est gagné. Le chemin est encore long. La confiance, la crédibilité et l’originalité dans l’approche doivent être entretenues. L’innovation dans les propositions doit être constante. Là où la réalité du terrain s’est avérée être la plus dure, c’est le nombre limité d’espaces de réflexion et de débats où nous pouvons exposer nos idées et en débattre. Aller sur le terrain, rencontrer les autres acteurs de la société civile, présenter nos idées, en débattre, s’est avéré bien plus dur que nous le pensions. Nous aimerions interagir plus souvent avec la «société réelle», sortir d’Alger, rencontrer l’expertise nationale où qu’elle se trouve, les citoyens, les autres associations, etc. Notre soif d’interagir et de débattre n’a pas encore trouvé suffisamment d’échos dans les différents fora que nous voudrions atteindre : universités, associations, autorités locales, groupes de citoyens, experts, etc.
Autre regret : nos difficultés à trouver des volontaires pour traduire nos rapports et propositions en arabe. Cela limite naturellement notre audience, mais nous ne perdons pas espoir de trouver des volontaires pour traduire nos écrits qui ne sont, aujourd’hui, disponibles qu’en français pour la plupart. Nous le regrettons.

Dans l’exposé des motifs de Nabni, c’est beaucoup de générosité et de volonté de contribuer à tirer vers le haut le pays, et ainsi les chantiers que vous avez sériés sont immenses. N’est-ce pas utopique, sachant le scepticisme de vos prédécesseurs et vu le contexte politique et la réalité économique algérienne ?
Comme mentionné plus haut, oui, nous sommes utopiques mais y croyons, même si le contexte actuel n’incite pas forcément à espérer que nos chantiers soient mis en œuvre. Mais nous sommes convaincus que les écrits restent et que, tôt ou tard, les idées innovantes feront leur chemin et que certaines d’entre elles s’imposeront. Disons que nous sommes sourds aux appels au défaitisme, au scepticisme et autres «ça sert à rien, y a rien à attendre du système».
Nous croyons dur comme fer au pouvoir des idées, et nous ne sommes qu’au début du chantier de construction qu’est Nabni. Par ailleurs, il faut que nous, Algériens, commencions à relativiser la difficulté de l’ampleur des réformes. Avec une population de 35 millions d’habitants, dont une fraction non négligeable est bien formée, regorgeant de richesses naturelles, une histoire et un patrimoine très riches, une position géographique privilégiée, et des difficultés de tailles relativement modestes (nos grandes villes n’ont rien à voir avec les grandes mégapoles du tiers-monde, la taille de notre secteur public est gérable, etc.), les problèmes structurels de réformes en Algérie devraient apparaître relativement mineurs par rapport aux défis des dirigeants chinois, indiens, indonésiens, ou, plus près de nous, égyptiens, ou nigérians. Il faut absolument rompre avec l’intériorisation du fatalisme qui nous mine.

Peut-être cela résulte-t-il d’un manque de confiance en nos capacités. Mais ce qui est vrai à l’échelle individuelle l’est aussi à l’échelle collective. Tant que de la base au sommet, on n’aura pas foi en nos capacités, il sera bien difficile de progresser.

Des «100 mesures» de Nabni «réalisables en 12 mois» et «au moindre coût» quel en est le résultat concrètement, voire les points positifs, mis en balance avec les points négatifs ?
Nous n’avions jamais espéré que, spontanément, les responsables politiques s’emparent de ces 100 mesures et les mettent en œuvre. Mais certaines d’entre elles font leur chemin. Nous ne voulons pas attribuer certaines décisions ou certaines propositions à Nabni, puisque plusieurs d’entre elles sont régulièrement défendues par d’autres parties. Mais un certain nombre de propositions se sont matérialisées ou sont en cours (telles que le site mouwatin.dz, le débat sur le crédit à la consommation, celui sur l’utilisation du crédit documentaire, la création d’une agence de gestion des équipements médicaux, le plan anticancéreux, etc.). Ces «100 mesures» sont de toute façon toujours d’actualité. L’ensemble des propositions reste valable, et le restera encore quelques années. Nous avons donc encore beaucoup à faire pour diffuser ces idées, les vulgariser et espérer qu’elles soient mises en œuvre un jour. Les points négatifs ? Ce sont ceux que j’ai exposés ci-dessus : nous voulons plus de débats, plus d’échanges avec la société, plus de rencontres avec les organisations de la société civile pour discuter nos idées, les confronter à la réalité et à l’expérience des praticiens et des acteurs du terrain, notamment à l’intérieur du pays.

Lors de la rencontre du 15 septembre dernier, vous avez affirmé – et avec insistance – que le changement du système politique n’est pas vraiment un préalable pour la mise en œuvre du projet Nabni 2020, citant pour cela l’exemple de l’Inde notamment…
J’ai dû mal exprimer mon propos. Au contraire, le chapitre Gouvernance de Nabni 2020 est clair à ce sujet : des réformes très sérieuses et très profondes de la gouvernance sont absolument nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre et réussir notre développement économique et social. Ces réformes doivent permettre plus de redevabilité de l’Etat, plus de transparence, plus de libertés à évaluer de manière indépendante l’action de l’Etat, plus de contre-pouvoirs pour limiter les dérives, plus de mécanismes pour rendre comptables de leurs actions les responsables publics, plus d’ouverture à l’implication du citoyen et de la société civile dans la conduite des affaires publiques, leur suivi, leur mise en œuvre ; et plus de garde-fous pour réduire l’arbitraire, les passe-droits et l’impunité devant la loi. Chacun peut appeler cela comme il le souhaite, mais notre message est que la réforme de la gouvernance ne peut pas se limiter à un changement de la «superstructure institutionnelle», à de beaux textes de loi, ou à un slogan abstrait qui s’appellerait «changement de système». Ne pas préciser concrètement ce que ce terme veut dire mène souvent à des impasses démobilisantes et fatalistes du type : «y a rien à faire, rien ne marchera sans changement de système». Nabni n’a pas vocation — ni de valeur ajoutée — à se placer sur le terrain des hommes politiques en appelant à des changements politiques. Mais préciser concrètement comment de vraies réformes de gouvernance pourraient changer la donne en termes d’efficacité des politiques publiques est notre terrain. C’est tout l’objet des dix chantiers de réforme de la Gouvernance contenus dans Nabni 2020. Et dans ce domaine, effectivement, nous nous sommes inspirés d’expériences diverses : par exemple, la Chine et ses incitations écrites auxquelles sont soumis les cadres locaux du Parti pour attirer l’investissement privé dans leurs provinces ; ou Singapour avec des incitations similaires dans son administration ; ou la Malaisie et la transparence des objectifs des gestionnaires de ses entreprises parapubliques du fonds souverain Khazanah ; ou l’Afrique du Sud, où le président supervise de manière trimestrielle la performance de chacune des provinces en termes de délais de paiement dans les contrats publics (délais de paiement qui sont souvent source de corruption); ou même l’Ouganda, où des villageois sont arrivés à réduire drastiquement l’absentéisme des infirmiers dans des centres de santé primaire, en mesurant et publiant les statistiques d’absentéisme. Les exemples abondent de réformes de gouvernance à tous les niveaux de l’Etat, de la tête, aux démembrements locaux les plus éloignés. C’est cela aussi le «changement de système». C’est cela que vous retrouverez dans l’ensemble du rapport Nabni 2020, en particulier dans le chapitre sur la gouvernance.

C’est indiscutable, Nabni semble bien montrer qu’il est au fait des réalités politiques et économiques du pays. Avez-vous, M. Benhassine, la certitude de les cerner à leur juste mesure vu l’immobilisme ambiant, la bureaucratie, les situations de rente et de monopole, le clientélisme et les pratiques de passe-droit que vous avez fort justement mis à l’index ?
Oui, sans aucun doute nous mesurons les problèmes que vous mentionnez, mais ils ont tous un remède.
Le chapitre Gouvernance du rapport Nabni 2020 comprend des propositions majeures sur tous ces sujets. L’immobilisme ambiant, la bureaucratie, les situations de rente et les passe-droits ne sont pas une fatalité.
Les solutions existent. Elles ont été mises en œuvre ailleurs, patiemment, une à une. Il faut par contre de la volonté politique pour engager ces chantiers. Avons-nous la certitude de cerner parfaitement tous ces problèmes ? Certainement pas. Seule la pratique de confronter ces problèmes et de tenter de les résoudre permet de les cerner entièrement. Il n’y a pas de plan préétabli pour résoudre ces problèmes, ou de solutions clé-en-main. Nous pouvons beaucoup apprendre là où d’autres ont réussi. Mais seul l’apprentissage de la réforme confrontée à la réalité du terrain permettra de trouver le bon chemin.

Toutes vos propositions dépendent pour leur application de l’exécutif, c’est-à-dire le gouvernement lui-même au centre d’enjeux, de rapports de force que vous ne semblez pas prendre en compte ?
En effet, c’est l’Etat au final qui peut mettre en œuvre ces propositions. Dans tous les pays du monde, le gouvernement est au centre d’enjeux politiques et de rapports de force, mais ce sont les contraintes provenant de la société et des contre-pouvoirs, la redevabilité des institutions et la transparence dans l’action, qui poussentl’Etat à œuvrer dans le bon sens. Sans redevabilité, sans transparence, sans contre-pouvoirs et évaluations indépendantes, point de pression pour que l’Etat et ses responsables œuvrent pour le bien public. C’est ce qui nous fait défaut : la redevabilité envers le citoyen pour contrebalancer les contraintes et les rapports de force auxquelles font face les responsables politiques. Tant que les institutions ne seront pas davantage redevables devant les citoyens, elles demeureront inefficientes et otages d’intérêts divers. Prenons un exemple concret pour illustrer le propos : imaginons un responsable local qui, sous pression d’un supérieur ou d’une personnalité puissante, se doit d’attribuer un terrain industriel à un entrepreneur sans projet industriel, qui l’utilisera au mieux comme entrepôt, sans création réelle de richesses ou d’emplois, alors que la liste d’investisseurs réels qui sont en attente de terrains pour investir se compte par dizaines. Exemple typique. Face à cette demande « venue d’en haut », le responsable local n’a pas grand-chose à perdre d’accéder à cette requête. Au contraire, il sera bien vu. A l’inverse, son homologue chinois, dont la performance annuelle en termes de création d’emplois industriels dans la zone, et en termes d’investissement, vont servir de base pour décider de sa promotion, ou non, aura plus d’incitations à refuser cette pression. Qu’il s’agisse de redevabilité interne (comme en Chine ou à Singapour), ou de redevabilité envers les citoyens ou les électeurs, les incitations à œuvrer pour le bien public sont en grande partie déterminées par de la redevabilité, de la transparence et de l’évaluation sur la base d’objectifs clairs et mesurables. Si rien n’est mesuré et évalué, si personne ne peut demander des comptes sur les décisions prises ou sur l’action publique, et si cette dernière opère dans l’opacité, alors, oui, les passe-droits, les rapports de force et les influences continueront longtemps à affecter les comportements des responsables, à tous les niveaux.

Nos gouvernants baignent depuis quelques années dans l’euphorie de l’aisance financière grâce à la rente pétrolière, d’où l’illusion de lendemains qui chantent, alors que la baisse continue des réserves en hydrocarbures fait craindre le pire ?
Oui, tout à fait, vous faites bien d’utiliser ce terme, nous sommes victimes d’une illusion. L’économie rentière nous fait vivre dans une illusion de richesses et d’aisance. C’est presque comme une accoutumance qui nécessiterait une «cure de désintoxication» ! En réalité, lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que notre croissance dépend fortement des dépenses publiques, et particulièrement des investissements publics. Même si la production d’hydrocarbures ne baissait pas, la croissance de la consommation interne d’énergie fera que nous aurons tôt ou tard, de moins en moins de recettes d’exportations d’hydrocarbures. L’Etat n’aura pas éternellement les moyens de sa politique de dépenses publiques. Aussi, l’efficacité de certaines de ces dépenses reste à évaluer. L’Etat investit-il de la manière la plus efficace, notamment du point de vue de l’objectif de diversification économique ? L’échec de cette dernière nous fait penser qu’une partie de ces ressources pourrait être utilisée de manière bien plus efficace si ces dépenses étaient accompagnées de profondes réformes économiques et sociales.

Devant votre argumentaire, on est étonné tout de même de relever qu’à aucun moment vous n’insistez sur les conséquences de la corruption qui gangrène la société à tous les niveaux. Pourquoi cette impasse, si tant est que c’en est une ?
En fait, nous n’avons pas fait l’impasse sur la corruption. Cette dernière n’est que le symptôme de dysfonctionnements et de mauvaises politiques publiques. Beaucoup de nos propositions de réformes, notamment celle relevant de la gouvernance publique, œuvrent à réduire ce fléau.Ainsi, nos propositions liées à la transparence, à la redevabilité des institutions, à l’évaluation des dépenses publiques, à l’indépendance de la justice, aux libertés de la société civile contribueront à réduire significativement la corruption. Lutter contre ce phénomène ne se résume pas à créer une agence ou à accentuer les contrôles. Plus important est de s’attaquer aux causes profondes, aux dysfonctionnements et aux distorsions qui minent nos politiques publiques. Par exemple, la première des mesures à prendre pour espérer réduire la corruption dans les marchés publics, serait de revoir notre code des marchés publics pour le rendre conforme aux meilleures pratiques de transparence, de concurrence et de mise en œuvre des contrats. Introduire de la transparence dans toutes les étapes de la commande publique, jusqu’aux termes du contrat lui-même, son exécution et ses rapports d’évaluation, est la clé pour lutter contre ce fléau.

Vous faites la part belle à la nouvelle génération de cadres et d’universitaires dont vous faites partie à qui doit revenir les commandes du pays ? En clair, cela est motivé par quoi ? Est-ce un constat d’échec de vos ainés après 50 ans de gestion du pays ?
Le fait que les membres de Nabni soient en majorité d’une nouvelle génération, ne veut en aucun cas dire que cette nouvelle génération est plus compétente que l’ancienne, que celle-ci a échoué, et que nous ferons mieux.
La nouvelle génération a beaucoup à apprendre de l’ancienne. Le fait est que l’ancienne génération s’est heurtée aux mêmes problèmes auxquels la nouvelle pourrait être confrontée si elle «arrivait aux commandes» d’institutions souffrant des mêmes défauts de mauvaise gouvernance. Il ne s’agit pas forcément d’une question de générations, mais de contexte institutionnel.
La réforme de la gouvernance publique est l’impératif auquel nous devons nous atteler si nous ne voulons pas que notre pays continue d’être à la traîne. Sans ces réformes, notre génération échouera là où nos aînés ont échoué.

Vous citez en exemple la Malaisie, arrimée aux pays asiatiques émergents, qui dispose pourtant de moins de moyens et de ressources que l’Algérie (triste constat) qui reste à la traîne. Pour l’observateur expérimenté que vous êtes est-ce là une fatalité ?
Il n’y a pas de fatalité, nous n’avons simplement pas encore trouvé notre voie. En fait, il y a plutôt un problème de fatalisme de la part de la société civile, un manque de confiance en son potentiel. Attendre un miraculeux changement total de système est vain et stérile, ce sont les petits efforts qui font les grands changements. Nous devons en finir avec cet attentisme. Le réveil de la société civile, pour s’engager dans une démarche constructive, est à cet égard important. S’agissant de la Malaisie, nous pouvons effectivement beaucoup en apprendre – notamment en termes d’ouverture économique couplée à un interventionnisme de l’Etat efficace et transparent. Mais ne cherchons pas des solutions clefs en main ailleurs, nous les avons en nous. Nous pouvons trouver notre voie et nos solutions spécifiques.

Quelles leçons avez-vous retenues de votre longue expérience et votre pratique professionnelle dans les institutions internationales pour passer du «Que faire» au «Comment faire» ?
Mon expérience personnelle importe peu. Il s’agit d’un travail de groupe et de la confrontation d’expériences très diverses en Algérie et ailleurs. C’est surtout cela qui marche chez Nabni !

Les résultats obtenus par l’action «militante» de Nabni laissent-ils penser à sa pérennité ?
Oui, nous n’avons pas l’intention de nous arrêter.Nous sommes un petit exemple de ce que peut faire la société civile quand elle se prend en main : une force de proposition qui espère en voir naître des dizaines d’autres. Nous espérons pouvoir continuer à créer le débat sur les enjeux que doit relever notre pays, car c’est du débat que naît l’intérêt collectif. Tout cela avec une bonne dose de rêve, de «niyya», et d’ouverture vers la société.
B. T.

NABNI 2020
Stratégie d’experts contre scepticisme ambiant

Trois années de confrontation de leurs idées aux réalités du terrain n’ont pas émoussé la volonté des initiateurs de Nabni (Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées-tout un programme !). Au départ, ce fut tout juste une discussion, un débat informel entre quadragénaires universitaires et cadres disposant déjà d’une solide expérience professionnelle dans des institutions nationales et internationales. Najy Benhassine, ingénieur-économiste (voir entretien), a travaillé une bonne dizaine d’années à la Banque mondiale ainsi que dans plusieurs autres institutions financières internationales. Il est auteur de publications sur la stratégie industrielle dans le monde arabe, dont un «Rapport sur le développement dans la région MENA» d’où il ressort qu’en l’absence de réformes véritables, de transparence dans la gestion des affaires publiques, la manne pétrolière, à elle seule, ne suffit pas pour assurer le décollage économique des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Un constat sans complaisance aux côtés d’autres confrères, tout aussi expérimentés et bardés de diplômes dans de célèbres universités d’Europe et d’Amérique. Bref, ce qui va devenir le noyau dur de Nabni fera très vite boule de neige et ralliera à sa «cause» les gens de bonne volonté pour le lancement d’une entreprise citoyenne neutre, loin de toute idéologie et qui veut investir le champ du débat d’idées au niveau de la société civile. Cette initiative est financée sur les fonds personnels des membres du comité de pilotage de Nabni.
A l’évidence, le point commun des animateurs de Nabni est une expérience professionnelle hors du pays, et le recul que peut avoir chacun par rapport au fonctionnement des institutions et de l’économie algérienne. Et cette génération de quadragénaires n’hésite pas à afficher ses ambitions visant à propulser le pays au niveau des pays émergents. A Nabni, on privilégie le concret au discours, et on sait aussi qu’il faut ne pas froisser les susceptibilités d’une administration tatillone sur ses prérogatives, voire ses privilèges, au risque de bloquer n’importe lequel des projets d’intérêt fut-il pour le bien de tous : «Voici nos propositions, on ne vous les impose pas, mais faites-en bon usage»,disent ses animateurs. Ils chercheront à sensibiliser et mobiliser aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. C’est donc une somme de propositions sous l’appellation «Nabni 2012», un rapport de court terme. Il est alors mis au point 100 mesures réalisables à court terme et ne nécessitant pas beaucoup d’investissements et capables de transformer la vie des Algériens. Ces mesures restent sans écho. Il n’empêche, le document sera largement diffusé. Elle noue des contacts avec notamment le FCE (Forum des chefs d’entreprise) de Réda Hamiani, certains ministères, etc. Ça sera une démarche de long terme pour Nabni 2020 : «Une vision de l’Algérie que nous souhaitons pour 2020 et sur les besoins futurs de la population. Il y est décliné de manière détaillée les politiques publiques à mener dans huit secteurs-clés qui «manquent aujourd’hui d’une vision cohérente et d’une stratégie de moyen-terme». Nabni 2020 peut être perçue comme un véritable manifeste de plus de 260 pages. C’est loin d’être une mince affaire pour ses promoteurs en ce sens qu’ils vont formuler des propositions sous la forme de 50 chantiers touchant à l’économie, l’éducation, la santé, le vivre ensemble et la gouvernance. Les membres du comité de pilotage de Nabni suggèrent en filigrane un changement de système en voulant – sous forme de réformes – révolutionner tous les secteurs de la vie politique (gouvernance comme fil directeur du projet, transparence), économique (le privé comme moteur de la croissance, dans un climat d’affaires débarrassé de toute contrainte administrative). Et ce n’est pas tout, car il s’agira de mettre en œuvre de nouvelles réformes morales (corruption, clientélisme, situation de rente…) et institutionnelles. Alors «comment faire ?», s’interroge-t-on. C’était d’ailleurs le thème de la conférence tenue le 15 septembre dernier à l’hôtel Hilton (Alger).
Il est question de la création d’une Agence indépendante qui sera placée sous l’autorité de l’Assemblée nationale (notez la contradiction !). Il n’est toutefois pas précisé sous quelles garanties, sachant la tendance dominante à l’acquisition de biens et avantages personnels, la réalité d’une institution sous tutelle politique !
Que sont devenues les commissions de lutte contre la corruption, la Cour des comptes, les enquêtes mises sous le boisseau, le refus de se saisir d’une affaire qui touche directement à l’intérêt de la communauté ? Nabni veut convaincre de sa démarche pédagogique qui donnera ses fruits à long terme ! Quand au citoyen lambda, Nabni l’appelle à s’impliquer dans la gestion des affaires de la collectivité. Il est dit que les idées novatrices portent en elles le changement pacifique, le progrès. Des expériences similaires ont été menées avec succès dans d’autres pays, alors pourquoi pas chez nous ?
B. T.

Source : http://lesoirdalgerie.com/articles/2013/09/29/article.php?sid=154760&cid=50

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