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5 janvier 2014

Les racines de la violence sociale en Algérie.

violencePar Belkacem Lalaoui
«Le sommeil de la raison engendre des monstres»
(F. de Goya)
Il est difficile, aujourd’hui, d’expliquer la spectaculaire évolution de la violence (fondamentalement masculine) dans la société algérienne et de rendre compte, à la fois, de son étendue dans ses différentes formes d’expression et de sa vaste complexité dans le champ social. Comme, il est difficile de donner une définition de cette notion polysémique, qui désigne au sens le plus courant l’usage de la «force» physique et du pouvoir contre autrui et caractérise, ainsi, des êtres humains «frustres» et «brutaux». On assiste, en effet, depuis trois décennies à un incontestable accroissement de flambées de violence, qui s’étend de manière épidémique sous une forme émeutière sans leaders identifiables, et qui ne semble trouver ni solutions ni remèdes. C’est une violence d’en-bas, spontanée, pervertie et travestie, profondément perturbatrice de l’harmonie sociale et qui ne semble épargner aucune catégorie de la population. Une violence souveraine qui erre parmi les hommes et dont personne ne parvient à lui mettre la main dessus. Elle survient quand les liens communicationnels communautaires sont perturbés, quand s’effondre tout un monde de significations et de valeurs, quand l’environnement avec lequel on est en contact n’est plus consistant ; bref quand les hommes cessent de s’entendre et deviennent étrangers les uns aux autres. C’est une violence nerveuse, d’une société qui vit en constante «bouderie», nourrie d’un capital de haine et de méfiance, sans objet apparent, devenue une ambiance, socialement pratiquée et valorisée par les jeunes et les moins jeunes ; parce que considérée, la plupart du temps, comme une réaction active contre la domination d’un pouvoir obscurci par des institutions en décalage profond avec la société.

Violence et pouvoir
Un pouvoir, qui a engendré une masse plus ou moins abondante d’hommes et de femmes voués à rester durablement ou même définitivement «inemployables» ; c’est-à-dire, des êtres qui n’appartiennent plus, ou à peine, à la société. Dans la Grèce antique, on appelait cette forme d’exclusion, le «pharmakos» : les déchets humains. Un système qui a procédé à l’enrichissement spectaculaire d’une partie de la population et à l’appauvrissement des classes défavorisées et moyennes. Si bien qu’en Algérie, aujourd’hui, «il y a les grands, il y a les pauvres, et ils ont besoin les uns des autres, les premiers pour placer leurs richesses dans le ciel par leurs aumônes, les seconds pour ne pas mourir de faim». (P. Veyne) Un pouvoir autiste, avec un état continuel d’agitation portant la marque de l’esprit de conformisme totalitaire, qui a modulé depuis des décennies le psychisme de la jeunesse. C’est donc à une violence profondément haineuse et persistante, à laquelle on assiste, difficile à démotiver puisqu’elle n’a pas de motivations explicites et à démobiliser puisqu’elle n’a pas de mobiles apparents. Issue d’une frustration systémique, c’est une violence qui ne disparaît pas, ne diminue pas, elle se transforme seulement. Considérée comme un mal, cette forme de violence est vigoureusement combattue dans toutes les sociétés humaines ; parce qu’elle agite toujours la menace du désordre et du chaos. Mettant en évidence le côté obscur de la nature humaine, elle contient, dans chaque société, sa propre interprétation : ce qu’il faut apprendre, c’est comment y accéder pour découvrir un imaginaire collectif, un état d’esprit de la société.

Violence et société
Vivre en société, c’est échapper à la violence. Pour ce qui est de la société algérienne, les questions qu’on est en droit de se poser sont les suivantes : pourquoi, cinquante ans après l’indépendance, la vie sociale est devenue plus brutale et corrompue avec essentiellement deux modes d’expression, la force et la fraude qui se sont érigées comme principal mode d’interactions sociales, au sein des différentes institutions ? Pourquoi, cinquante ans après l’indépendance, la société algérienne avec sa générosité, son nationalisme et son patriotisme légendaires, n’est pas parvenue à fonder une «communauté de valeurs», une «vie commune vraie et durable», selon l’expression de F. Tönnies qui favorise la réalisation et l’insertion de l’individu autour d’un projet moral commun ? Pourquoi les deux grandes institutions de socialisation, que sont la famille et l’école et dans lesquelles se trouve impliqué en premier lieu l’enfant, n’arrivent-elles toujours pas à jouer un rôle majeur dans ce que l’on appelle communément le processus d’adoucissement des mœurs : réfréner les impulsions agressives, endiguer les incivilités et pacifier les comportements ? Pourquoi l’école est devenue un «corps momifié» qui ne dispense plus certaines activités (sport, musique, théâtre, etc.), susceptibles de promouvoir l’apprentissage des règles du «vivre ensemble» et d’initier, ainsi, les enfants à intégrer des autocontrôles dans leurs relations avec autrui, dès le jeune âge ? Pourquoi, enfin, la famille, dont le travail de l’éducation constituent sa vocation profonde, n’arrive-t-elle plus à inculquer des normes de sensibilité à l’égard de la violence, dès la prime enfance ? C’est à toutes ces questions, à cette déresponsabilisation, à cette démission collective, à cette défaillance des élites traditionnelles, à cette suffisance tapageuse de certains responsables politiques, qu’il faut répondre ; si l’on veut comprendre l’absurdité des déchaînements de la violence sociale au sein de la société algérienne et cerner, ainsi, les mécanismes impliqués dans son activation et son expression.

Violence et institutions sociales
Nous savons, aujourd’hui, que la violence peut être véhiculée par des dispositifs institutionnels, des conceptions politiques ou des fonctionnements sociaux. Dans cette perspective, il règne en Algérie une violence irrationnelle liée, en grande partie, à la «rigidité» des institutions qui ont perdu de leur densité morale. Leur fonctionnement, coupé de toutes les coutumes et règles morales traditionnelles, a grandement participé à créer, chez le citoyen, le sentiment d’être non respecté, dévalorisé, atteint dans sa dignité humaine. De la sorte, elles ont contribué à le rendre, dans ses rapports inter-individuels quotidiens : irritable, agressif, voire violent. Toute opération qu’il effectue se transforme en un combat de boxe. Un auteur, comme K. Lorenz, considère cette violence quotidienne, sourde et aveugle, comme un instinct d’agression enraciné en l’homme ; pour lutter contre tout ce qui est mépris et humiliation. C’est un éternel instinct de combat, une sorte de catharsis de la frustration, qui a des fonctions positives dans l’adaptation et l’évolution de l’espèce et qui tend, d’après Lorenz, à structurer les relations sociales en les faisant évoluer vers l’échange, la communication et la production de l’organisation sociale. C’est un «instinct de vie» (pour parler comme les psychanalystes), qui organise les relations des vivants à travers leurs conflits et leurs affrontements. Cette forme de violence vise à être fondatrice et génératrice de nouveauté, et serait donc bonne à quelque chose. Directe, expressive et affirmative, elle nous aide à comprendre ; que la lutte sociale est une force structurante, dans le développement moral de la société. C’est, donc, à une violence fondatrice à laquelle on assiste, et qui nous donne l’image d’une communauté telle qu’elle évolue et non telle qu’elle est rêvée en termes hystériques, par certains responsables politiques. En ce sens, elle mérite qu’on saisisse sa signification profonde, dans un contexte socioculturel particulier. De tout ce qui précède, on ne peut que constater, que la violence sociale, en Algérie, reste liée à une multiplicité de facteurs individuels, relationnels, culturels, économiques, politiques, etc., en relation les uns avec les autres et où tout reste à faire : réformer l’«école», bâtir la « famille», retisser le «lien social», restaurer la «solidarité», resserrer la «cohésion sociale», rétablir « l’isonomie» (l’égalité des citoyens devant la loi), bref «faire société».

Violence et contexte socioculturel
Chaque pays entretient des rapports spécifiques entre l’Etat et la société civile, et il n’est pas étonnant que la structure de la violence prenne des configurations différentes, selon le type de société et les époques. En Algérie, la tentation est grande de répondre par un souci sécuritaire démesuré au nom d’un paradigme de dissuasion générale préventive et, peut-être, d’offrir des réponses inadéquates là où des modes de régulation socioculturels et symboliques seraient peut-être plus efficaces. Pour ne citer que deux exemples : on ne peut pas lutter contre la violence dans les stades, en augmentant simplement le nombre d’articles coercitifs contenus dans une loi, comme on ne peut pas lutter contre la violence sexuelle d’une population délinquante, en surveillant ses coïts à l’aide de courbes statistiques. En Amérique, deux auteurs (N. Jacobson et J. Gottman) ont tenté de classer les hommes violents selon deux catégories, qu’ils ont nommées «Pitt Bulls» et «Cobras». Dans cette classification, le piège est d’utiliser de simples jugements stéréotypés, à l’aide de simples préjugés cognitifs, pour appréhender la complexité du phénomène violence sociale et d’essayer de vampiriser les individus engagés dans de simples comportements antisociaux. En Algérie, nous sommes sur le point de «fabriquer» ces hommes violents, de les étiqueter et de les vampiriser. C’est ainsi que l’on apprend, que dans certains quartiers défavorisés, des groupes de jeunes, soulevés par des passions intenses et obscures, ne se supportent plus et ne veulent plus vivre ensemble. Ils vont même jusqu’à s’organiser en groupes d’autodéfense, pour guetter l’ennemi d’en face. Les raisons de ce repli sur soi est profond, il reflète tout simplement la peur de l’autre. En certaines circonstances (durant la fête de l’Aïd El-Adha), il arrive aussi à ces mêmes groupes de jeunes d’organiser des combats de moutons, qui ressemblent, par leur férocité, aux combats de coqs des balinais. Dans ces combats de moutons, les jeunes s’entraînent, avec une apparente spontanéité, à vivre une réflexion sur leur violence à eux, «sur ce dont elle a l’air, sur ses procédés, sur sa force, sur la fascination qu’elle exerce» (Clifford C. Geertz). Le combat de moutons est une mise en scène pour exprimer une certaine violence destinée à être vue et regardée.

Violence et crise de sens née d’un vide social
Ainsi, on observe que dans une société où les solidarités sont à l’abandon et où les structures éducatives sont défaillantes, nos jeunes, privés à la fois de repères sociaux et d’image valorisante d’eux-mêmes ; élevés dans un état permanent de rivalité et d’hostilité, ne savent plus communiquer les uns avec les autres. Seuls les combats de moutons leurs permettent, une fois l’an, de faire des retrouvailles. Le reste du temps, ils ne sont nulle part. Seul le club de football constitue, pour eux, la référence géographique et identitaire. Aujourd’hui, pour un supporter du MCA : El-Harrach, c’est déjà l’étranger. Il ne faut donc point s’étonner que bon nombre de nos quartiers ressemblent, de plus en plus, à ceux de la Calabre, qui fonctionnent avec un code viril masculin s’exerçant avec brutalité et où «ce qui caractérise l’honneur (masculin) n’est rien d’autre que la maîtrise du pénis et du couteau. En effet, pour un homme véritable, on doit posséder la puissance sexuelle qui permet de se reproduire, donc d’assurer la postérité de son sang et de son nom, et l’on doit savoir manier le couteau, qui sert à la conservation du groupe» (Nello Zagnoli). En Algérie, le jeune des quartiers défavorisés, ayant une sexualité contrecarrée et sentant qu’il ne jouit pas d’une reconnaissance générale, doit prouver à ses proches qu’il possède encore la force (le couteau) et le courage nécessaires pour se défendre.
L’arme pointue, couteau ou épée, est une représentation symbolique de l’individu ayant la volonté de manifester sa masculinité combative et de conserver le droit à la vengeance. On assiste là à une culture de la violence ayant comme fondement une mise en scène, sans cesse, réitérée de la virilité. Les jeunes des quartiers défavorisés, considérant leur vie entière comme une bataille, doivent prouver à tout instant qu’ils possèdent la capacité de répondre rapidement à toute offense, pour empêcher d’être perçus trop faibles. En effet, dans la culture algérienne, les garçons sont instruits, aussi bien par leur mère que leur père, dans l’idée de se battre pour défendre leur honneur. C’est là une coutume, et tout jeune Algérien fait ce que la coutume de sa communauté lui prescrit de faire. Il doit être capable de se battre, si la situation le justifie. Parce que c’est la coutume, parce que ça se fait ? Ainsi est alimenté un cycle régulier de grande violence de la vendetta primitive, de la vengeance sans fin, qui devient une obligation sacrée pour tenter de restaurer un honneur. La violence est considérée, ici, à la fois comme légitime et obligatoire pour échapper à la honte et ne pas donner l’image de son impuissance et de sa stérilité ; sous peine de perdre la face, il faut impérativement montrer sa «rejla» : étaler bruyamment sa force, voire sa férocité.

Violence et vision du monde
Dans cette vision du monde et du social, régie par l’honneur et la vengeance, et dont nous avons peine à comprendre l’exacte signification, la vie de nos jeunes semble avoir été contaminée par une forme de «violence guerrière» léguée, en héritage, par leurs aînés. Ces derniers, lorsqu’ils sont revenus du combat, ont oublié de se purifier, ils n’ont pas pris un certain nombre de précautions pour réintégrer la vie ordinaire. Ils n’ont pas fait usage de rituels. Les exemples sont forts nombreux de peuples qui considèrent que le guerrier qui rentre chez lui risque de ramener la violence et qui obligent donc l’individu qui revient du combat à subir une quarantaine et à se purifier ; il suffit d’en citer quelques-uns. C’est ainsi que le cafre parti guerroyer ne peut rentrer dans sa cabane qu’après s’être lavé ; auparavant, il est réputé comme étant un être souillé. Le guerrier maori est impur pendant la durée d’une expédition armée, il ne cesse d’être tabou qu’après s’être purifié. Le Nandi, qui a tué un ennemi, doit attendre quarante jours avant de rentrer chez lui. Au Bechuanaland, l’homme, qui est en quarantaine pour cette même raison, ne doit toucher personne, et son ombre ne doit pas effleurer ses enfants. En Algérie, l’homme, parti guerroyer, a tout simplement réintégré la vie civile sans s’adonner à une quelconque purification, si bien que la société algérienne est, aujourd’hui, une société souillée dans son corps social. La violence est présente dans toutes les institutions, et elle n’apparaît pas comme un problème. Enracinée dans la structure profonde de la société et au cœur des hommes, elle est devenue un aspect banal de la vie sociale, elle n’a rien d’un tabou, elle est considérée comme licite en même temps qu’un fait insupportable.
Elle représente une valeur positive et préside sans cesse, malheureusement, aux échanges matériels et symboliques.

Violence et catégories mentales

La violence qui s’exprime, aujourd’hui, au sein de la société algérienne ne diffère guère de celle du guerrier massaï, de l’homme des tribus Druzes, des Indiens Sioux ou des cow-boys du Far-West des américains du XIXe siècle, qui avaient des catégories mentales culturellement et solidement édifiées pour identifier le bien et le mal, le pur et l’impur, le juste et l’injuste et faire justice. C’est une violence de l’homme, qui se fait vengeance lui-même : «Il prend la loi dans ses propres mains», comme l’affirme la langue anglaise. Il en est ainsi de l’homme algérien qui doit, aujourd’hui, pour maintenir sa protection et celle de sa famille, montrer encore une image publique de la force. Il doit exposer une image sociale de dureté et une réputation de rétorsion violente contre tout ce qui porte atteinte à son honneur.
Cette attitude, à l’égard de la violence en tant que mode d’action, a des origines dans un passé lointain colonial, nous dit Fanon, où l’indigène opprimé ne pouvait retrouver son humanité et reconquérir son identité défigurée, que dans une révolte sauvage et irrationnelle. Survient alors, selon Fanon, la violence pure et totale, qui «désintoxique», en jetant directement l’un contre l’autre colonisateur et colonisé. Cette attitude plonge, aussi, ses racines dans la culture des codes de l’honneur des contrées méditerranéennes et renvoie aux origines, à l’héritage, à la mémoire, à des formes de résistances. L’introduction de la loi et de l’ordre ne sont pas arrivés à enrayer ce type de comportement.
Einstein, dans une lettre, demandait à Freud en tant que spécialiste de l’âme humaine, s’il existait une recette pour prémunir l’homme contre la psychose de la haine et de la violence. Freud a répondu que le sujet était extrêmement difficile, qu’il n’était pas sûr d’avoir la réponse. Néanmoins, il y a deux manières qui permettent peut-être de s’approcher d’une réponse, ajoutait-il. La première consiste à encourager par tous les moyens possibles des échanges affectifs entre les êtres humains, à créer des liens ; la seconde était de trouver les moyens de faire s’identifier les individus les uns aux autres et les collectivités les unes aux autres, de trouver les moyens d’identification, les moyens d’obtenir que quand on projette sur l’autre un regard interrogatif, on trouve dans la réponse de ce regard les moyens de construire des projets ensemble.
Le contenu de cette lettre, qui nous est rapporté par R. Girard, met en exergue l’importance des échanges affectifs, du dialogue et de l’identification dans l’éducation et l’équilibre du sujet humain. En effet, le «dialogue» avec l’autre, qui est une disposition naturelle de l’homme vers la voie de la vérité, a disparu en Algérie : on ne veut plus écouter quelque chose de l’autre. Les jeunes ressentent, d’ailleurs, une profonde difficulté à dialoguer. Le système éducatif ne leur a appris qu’à discuter : opposer farouchement l’opinion de l’un contre l’opinion de l’autre. Pour les «échanges affectifs», on sait, en effet, qu’ils font fonctionner les structures cognitives en accélérant leur formation ou en les retardant, mais sans pour autant les modifier. Quant à l’«identification», on lui reconnait une importance capitale dans la formation du moi. En effet, pour Lacan, le moi est un objet fait comme un oignon, on pourrait le peler et on trouverait des identifications successives qui l’ont constitué.

Violence et lutte pour la reconnaissance sociale
Toute vie en société est fondée sur la lutte pour la reconnaissance, c’est-à-dire la volonté d’affirmation de soi, d’une identité parmi les identités, et donc d’une différence. L’expérience de la non-reconnaissance entraîne un certain nombre de luttes sociales. En effet, «une société où tant de gens essaient d’obtenir le statut de victime pour obtenir une certaine reconnaissance ou un certain respect social est une société malade» (Habermas) Dans sa théorie de la Lutte pour la reconnaissance, le philosophe et sociologue allemand Axel Honneth insiste sur l’importance de la reconnaissance sociale comme condition nécessaire de toute socialisation : le besoin profond de l’individu d’être reconnu dans toute sa valeur humaine. La reconnaissance, chez Honneth, est une des conditions à l’exercice de la citoyenneté. Cet auteur élabore un modèle comportant trois valeurs de reconnaissance nécessaires pour la réalisation de soi. La première, appelée amour, est ce qui se rapporte aux liens affectifs unissant une personne à un groupe restreint. En effet, les liens affectifs jouent un rôle important dans l’acquisition de la confiance en soi, indispensable à la participation à la vie publique d’une collectivité. C’est seulement lorsque les liens affectifs sont forts et réciproques que s’affirme la «confiance en soi» et la «confiance en l’autre».
La deuxième valeur est du domaine de la reconnaissance juridique : être reconnu comme un sujet universel, dans ses droits, ses devoirs, sa liberté de choix et d’expression. Naît, alors, le «respect de soi» ; autrement dit, une conscience douée de discernement moral. Lorsque les règles implicites de reconnaissance mutuelle ne sont pas respectées et que les sujets font des expériences de déni de reconnaissance, alors se développent des sentiments moraux d’injustice. La troisième valeur touche les formes de reconnaissance mutuelle dans le monde social, on reconnaît l’autre et l’autre nous reconnait comme une personne : naissent alors, l’«estime de soi» (sentiment de sa propre valeur) et la «solidarité». La succession de ces trois formes de reconnaissance entraîne le développement progressif de la relation positive que la personne entretient avec elle-même. Elles se conquièrent et se conservent, nous dit Honneth, dans une succession de conflits pratiques, dans la lutte pour le droit au respect, le droit à la dignité humaine ; dans la lutte contre l’indifférence, l’injustice et l’humiliation, auxquelles les hommes peuvent être confrontés et qui ont leur source dans les structures organisées de la société, dans les «pathologies sociales». Aujourd’hui, la société algérienne peine à reconnaitre l’individu dans certaines de ses capacités et de ses qualités. Critique et questionnements sont évacués. L’individu est dépossédé de la participation à des actes sociaux élémentaires. L’appartenance sociale est imposée de manière coercitive. Le lien social est un lien du type dictatorial. C’est une société, qui possède un arsenal étendu de procédés pour rabaisser, offenser, humilier, ignorer, voire mépriser la personne. Or, l’expérience du mépris (une rupture de l’empathie) peut envahir la vie affective des sujets humains au point de les jeter dans la résistance, l’affrontement social et le désarroi. L’expérience du mépris est à l’origine d’une prise de conscience, affectivement marquée, d’où naissent les mouvements de résistance sociale, les soulèvements collectifs, les mouvements de protestation, les émeutes. On comprend alors tout l’intérêt de la théorie de la lutte pour la reconnaissance, pour la compréhension d’un phénomène comme la violence sociale. Honneth nous invite, en effet, à réfléchir, que toute société est confrontée, pour former le sujet moral, à travailler inlassablement à la construction de trois valeurs essentielles : la «confiance en soi», le «respect de soi» et l’«estime de soi» ; c’est-à-dire les trois niveaux de compréhension pratique, que le sujet a de lui-même pour réaliser l’intégrité de son identité existentielle et relationnelle. Dans cette perspective, les violences sociales, en Algérie, traduisent l’échec cuisant d’un système, qui n’a pas su mettre en place une authentique politique d’éducation pour former le sujet moral : le citoyen.
B. L.

Source : http://lesoirdalgerie.com/articles/2014/01/05/article.php?sid=158660&cid=41

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