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6 février 2014

Retour sur le contentieux archivistique entre l’Algérie et la France

Par Fouad Soufi*
L’Algérie a-t-elle décidé de faire son deuil des archives algériennes transférées en France entre 1961 et 1962 ? Tout porterait à le croire. 
En effet, répondant à la question d’un journaliste de l’APS, lors de sa conférence au Forum de Liberté le 21 janvier dernier, Benjamin Stora avait signalé, en substance, que la commission mixte algéro-française sur les archives poursuivait ses travaux mais qu’elle avait pour objet non plus la restitution des archives, mais la facilitation de leur consultation. J’en renvoie à l’article de Mustapha Benfodil in El Watan du 22 janvier 2014. Il faudrait peut-être regretter que Mohamed-Chérif Lachichi de Liberté n’ait pas relevé ce détail dans son article du même jour. Il faudrait surtout regretter que cette information n’ait donné lieu à aucun commentaire.
L’Algérie ne réclamerait donc plus la restitution de ses archives ! Notre pays aurait-il procédé, ces dernières années, à un revirement de sa position de principe régulièrement affirmée depuis 1963 soit lors des négociations bilatérales soit lors des rencontres internationales ? La question mérite d’être posée même si elle ne paraît intéresser qu’un petit cercle d’initiés.
Il reste tout de même réconfortant que certains communiqués de notre ministère des Affaires étrangères rappellent que la question des archives algériennes en France est toujours d’actualité. 
C’est ainsi que l’on a pu savoir qu’il en avait été question à l’occasion de la dernière visite du Premier ministre français à Alger. La commission mixte poursuit donc ses rencontres périodiques. 

Où se situe alors le problème ? 
Ecartons une dérive qui ressemble fort à un nuage de fumée à usage interne. Il faut savoir que l’Algérie n’a de contentieux archivistique qu’avec la France pour des raisons historiques précises et connues. Ce contentieux porte sur les archives qui, produites en Algérie par l’Etat colonial, ont été transférées en France dès 1961. Il porte aussi sur ces archives que l’on cache derrière la notion de butin de guerre. C’est-à-dire les archives récupérées sur les champs de bataille de 1830 à 1962. Nous pouvons réclamer à d’autres pays des archives qui se trouvent chez eux mais qui avaient été produites par ceux qui nous y représentaient avant l’Indépendance. 
Mais les fonds d’archives ou les pièces d’archives, nées des relations entre l’Algérie et les autres pays, appartiennent de droit à ces derniers. Contrairement à ce que l’on peut lire çà et là, ce travail d’enrichissement de nos archives nationales n’est en rien une action extraordinaire. Il est faux de faire croire qu’il s’agit là d’une initiative héroïque et inédite. Il faut dire haut et fort que cette action n’a strictement rien à voir avec la question du contentieux. Les Archives nationales avaient acquis, par le passé, des microfilms d’archives à Paris et à Marseille et le défunt Ahmed Tewfik Al Madani (que Dieu ait son âme) avait ramené des centaines de photocopies d’archives turques pour le plus grand bonheur de nombreux historiens. 
Ce travail s’est fait sans tambour, ni trompette, ni tapage médiatique. Il ne faut pas faire oublier le grand colloque, organisé en 1998 à Alger, sur les archives concernant l’Algérie et conservées à l’étranger. Les actes de ce colloque et des documents de référence de ces fonds étrangers sont disponibles au Centre des archives nationales. Pratiquement tous les pays sollicités (dont la France) avaient répondu à l’appel de la DGAN d’alors. Mais il était bien clair que l’Algérie n’avait exprimé aucune revendication sur ces archives. Il suffit, pour en obtenir des copies, d’en faire la demande et d’en assurer les frais exigés sur le support voulu ! C’est ce que font les historiens qui se rendent en France, en Turquie, en Espagne et ailleurs, là où les portent leurs sujets de recherches. C’est ce qu’a fait un laboratoire de recherches de l’université d’Oran, c’est ce qu’a annoncé un autre groupe de chercheurs de l’université de Constantine. Ne cherche-t-on pas à tromper une opinion publique mal informée en faisant tout un tapage alors qu’il ne s’agit, somme toute, que d’une mission normale. Ce nuage de fumée ne sert-il pas à d’autres fins ? 

Qu’en est-il alors de ce contentieux algéro-français ?
B. Stora, parce que bien informé, sait ce qu’il dit et il le dit bien. Il a participé avec d’autres historiens français et non français aux travaux préparatoires de la partie française de cette commission mixte. C’est donc une voix autorisée qui affirme qu’il n’est plus question de restitution. L’observateur, un tout petit peu averti, peut et doit s’interroger sur le devenir de la revendication algérienne. Aurait-elle été abandonnée et depuis quand ?
On sait que le 6 mars 2009, à Paris, la DG des Archives nationales et la direction des Archives de France ont signé un accord. De cet accord, on n’en connaît que les communiqués de félicitations du ministère français des Affaires étrangères, de l’ambassade de France et de la Direction des Archives de France. Ces communiqués ne laissaient déjà place à aucune ambiguïté ni équivoque sur le contenu de cet accord. De cet accord, on n’entend que le silence de la DG des Archives nationales de notre pays. 
Et qui ne dit mot consent. Notre DGAN aurait ainsi bel et bien accepté de recevoir les copies et non plus les originaux des archives, comme réclamé depuis 1963 par tous les directeurs des archives nationales qui se sont succédé jusqu’en 2003. 
Les dénégations n’y changeront rien. Répéter qu’accepter les copies ne signifie pas que l’on renonce aux originaux n’engage que celui qui le dit et ceux qui veulent bien faire semblant de le croire. Pour la partie française, le contentieux archivistique algéro-français, le plus important en quantité d’archives déplacées de tout le XXe siècle, selon l’étude de l’Unesco rédigée par Léopold Auer, est clos ! Ainsi et à peu de frais, la partie française a obtenu satisfaction.
Trois hypothèses peuvent être envisagées : - On peut se dire qu’il s’agit là d’une sorte d’accord tacite entre les deux parties pour éviter les sujets qui fâchent et développer des actions concrètes, efficaces et continues entre les deux pays. 
- On peut aussi considérer qu’il s’agit là plus simplement d’un renoncement, d’une reculade qu’il faudrait expliquer. 
- Mais on peut également admettre qu’il s’agit d’une sorte de recul tactique de la part des représentants de notre pays. Il vaut mieux ramener des copies pour préserver le droit des historiens algériens à l’accès à ces archives et aux autres fonds d’archives français sans avoir à se déplacer à Aix ! 
Cette dernière et très généreuse hypothèse peut être écartée. Et pour cause ! En effet, la Direction des Archives de France applique depuis bon nombre d’années à tous les chercheurs sans distinction de nationalité – y compris donc nos concitoyens — les règles d’accès aux archives réservées jusque-là aux chercheurs français ; les archives non consultables restant soumises à dérogation. Peut-on négocier ce qui est déjà acquis ? 
Par contre, la facilitation de la consultation des archives ne peut porter, d’abord et avant tout, que sur les historiens français qui souhaitent consulter les fonds d’archives de notre pays, ce qui est le cas présentement. Les historiens français qui se présentent aux Archives nationales à Alger et accessoirement à Constantine et Oran obtiennent en général satisfaction. 
Il reste à examiner les deux premières hypothèses : accord tacite et/ou renoncement/recul ? Un peu des deux très certainement et beaucoup de la seconde hypothèse. Le contenu et l’esprit de cet accord de 2009, dont les archivistes français ont pu prendre connaissance, sont clairs pour la partie française. La DG des Archives nationales d’Algérie a accepté de ne recevoir (aux frais de qui ?) des copies (sur quel support ?) et non plus les originaux. Je m’étais laissé dire, il y a quelques années, que Mme la directrice des Archives de France avait refusé déjà, lors de son passage à Alger, en 2003, de reconnaître l’existence même d’un contentieux archivistique algéro-français. 
Certes, cette question relève des plus hautes autorités des deux pays quant à sa solution définitive, mais la part des responsables des archives nationales des deux pays n’est ni à négliger ni à mésestimer et celle des opinions publiques, encore moins. Il faut remercier, au passage, Me Fatma-Zohra Benbraham pour son courage et son franc-parler quand beaucoup, chez nous, disent à voix, de moins en moins basse, que ces archives sont mieux là-bas. 
Le lecteur intéressé pourra lire cinq textes importants, celui de Mohamed Touili intitulé «Le contentieux archivistique algéro-français. Réponses à une campagne» et publié in Algérie-Actualité, n° 841, 26 novembre-2 décembre 1981, celui d’Abdelkrim Badjadja, «Le contentieux archivistique algéro-français», communication présentée à la 31e Conférence internationale de la table ronde des archives (Citra) : «Archives, Guerre et le concert des Nations». Washington, 6-9 septembre 1995, les deux articles de feu Nabil Bouatia (Le Monde diplomatique, juillet 1982 et la Revue algérienne des SJEP, 1986) ainsi que la thèse de Mehenni Akbal sur le contentieux (2004). 
Les choses ont évolué depuis. 
La partie française affirme que l’Algérie accepte désormais de recevoir des copies et de renoncer aux originaux. C’est en tous les cas le témoignage que je peux personnellement porter. En effet, et suite à une communication présentée lors d’un colloque organisé par la direction générale des Archives nationales de Tunisie, les 22-24 février 2010 sur les archives, la société et les sciences humaines, j’avais été interpellé par l’inspecteur général des Archives de France. Au cours des débats qui avaient suivi ma communication, j’avais exprimé mon point de vue personnel : «Ces fonds d’archives font partie du patrimoine national algérien et doivent être restitués en l’état.» Notre collègue française a fait part de son étonnement en rappelant le contenu de l’accord signé par le Directeur Général des Archives nationales d’Algérie en 2009. Il ne faisait aucun doute que depuis, l’Algérie ne demandait plus que des copies et que le dossier était clos ! Elle s’était permis de s’étonner que je ne sois pas au courant. Sur ce dernier point, je confirme qu’effectivement je n’avais pas été informé du contenu de cet accord pour une raison simple, paraît-il : je n’avais pas à l’être !
En fait, il est loin le temps où dans les rencontres internationales sur les archives, et sur ce dossier en particulier, la voix de l’Algérie était écoutée et respectée, depuis Calgary en 1977 jusqu’à Séville en 2000 et encore un tout petit peu à Vienne en 2004. Depuis, la tendance, pourtant favorable à la position algérienne, s’est inversée. Il est dangereux de se taire sur les propositions précises sur ce dossier qui avaient été faites en 1980 et 1981.
Il ne faut pas nous faire oublier que déjà en 1995, lors d’une Conférence internationale de la table ronde des archives (Citra) organisée par le Conseil international des archives à Washington, les deux parties avaient convenu de «laisser le contentieux archivistique aux diplomates des deux pays et encourager la coopération technique entre les Archives nationales d’Algérie et de France». Qui croire ? Que comprendre ? 
Cette question relève-t-elle du secret professionnel chez nous alors qu’elle est posée sur la place publique en France ? Il faut lire la communication de Gérard Ermisse, «L’actualité des contentieux archivistiques» publiée en 2004 (il était alors chef du service de l’inspection générale à la Direction des Archives de France) et la mise au point d’Abdelkrim Badjadja en sa qualité de mis en cause dans cette communication. Que reste-t-il à négocier alors ? Il est bien évident que cela ne me regarde plus, sinon en tant que citoyen jaloux de son pays et de son droit de dire et de savoir. Par ailleurs, il est bien de lutter contre l’usage vicieux du passé et faire croire que rien ne s’est passé avant que la lumière fut aux Archives nationales ! Il est bien de savoir que depuis 1963 et pratiquement chaque année, des archivistes algériens sont accueillis au Stage technique international des Archives de Paris et posent la question des archives sans en avoir pour autant été mandatés. 
Il faut savoir aussi que depuis 1964, l’Algérie a reçu des experts français en archivistique de premier rang et parmi lesquels notamment Yves Pérotin et Michel Duchein (régulièrement cités dans les traités d’archivistique mondiaux). Régulièrement, des archivistes français sont invités aux colloques, séminaires pour animer des stages de formation, etc. Certains ont donné l’impression de faire pratiquement leurs premiers pas d’experts chez nous ! Il est vrai que la règle, ces dernières années, a été de dire et de faire croire qu’il n’y a pas de compétences algériennes et que les archivistes algériens n’étaient bons qu’à être formés. Mais c’est là une autre histoire. Il ne reste finalement que la question de principe, que la question fondamentale, celle de la restitution des archives dont le journaliste de l’APS et B. Stora nous ont rappelé la réalité. Qu’ils soient tous les deux remerciés. 

Que reste-t-il alors de ce contentieux ? 
Il y a un fait : l’accord signé le 6 mars 2009. Il y a une réalité : les affirmations de la partie française. Il y a aussi les communiqués de notre ministère des Affaires étrangères qui montrent bien l’intérêt vigilant des plus hautes autorités de l’Etat sur cette question. Et c’est ce qui compte et c’est ce qui nous permet de croire en une solution équitable dans l’intérêt bien compris des deux pays. 
F. S.

* Retraité des Archives nationales

Source : http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2014/02/05/article.php?sid=160028&cid=41

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