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4 décembre 2015

Sous le contrôle de Washington, Ankara au cœur de la coalition contre Moscou.

sukhoi_Russe

par A. Benelhadj

Mardi 24 novembre, deux F16 de l'armée de l'air turque abattent un bombardier russe Soukhoï-24, à la frontière avec la Syrie, l'accusant d'avoir violé son espace aérien. 

La Turquie est un membre de l'OTAN ce qui donne à cet événement un caractère de gravité extrême dans un contexte géopolitique régional passablement dangereux. Cet incident provoque une crise d'une ampleur inédite en plus d'un demi-siècle de guerre plus ou moins froide. 

Il a fait deux victimes: un des deux membres de l'équipage du Soukhoï, le lieutenant-colonel Oleg Pechkov âgé de 45 ans qui avait réussi à s'éjecter mais qui a été tué par les rebelles alors qu'il retombait en parachute, et un fusilier-marin russe dépêché lors de l'opération de la récupération du second membre. 

Le rescapé, l'officier navigateur Konstantin Mourakhtine, a été récupéré sain et sauf mardi soir par les forces spéciales syriennes et russes, dans une zone où opèrent les insurgés. 

La Turquie se dit dans son bon droit et prétend que l'appareil russe volait dans son espace aérien et qu'il a été averti «dix fois en cinq minutes» par les chasseurs qui ont résolu de l'abattre. 

Cette interprétation reçoit un ferme soutien, adressé le jour-même à la Turquie et à sa souveraineté par le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg qui a indiqué que «les éléments recueillis à ce stade attestaient que l'avion russe abattu par des chasseurs F-16 de l'armée turque avait bien pénétré dans l'espace aérien de la Turquie.» 

Le capitaine Konstantin Mourakhtine affirme au contraire (propos recueillis par l'agence Tass, dans un hôpital de la province de Lattaquié) qu'»il n'y a eu aucun avertissement, ni visuel ni par radio. Il n'y a eu absolument aucun contact». 

«S'ils [les avions turcs] avaient voulu nous mettre en garde, ils auraient pu se signaler en suivant une route parallèle à la nôtre. Il n'en a rien été. Soudain, le missile a touché la queue de notre appareil, nous ne l'avons pas vu assez tôt pour tenter une manœuvre.» 

«Je pouvais parfaitement voir sur la carte et au sol où se trouvait la frontière et où nous étions. Il n'y avait aucun risque de pénétrer en Turquie». 

A supposer la relation turque des faits exacte (et bien des aspects de cette opération laissent penser qu'elle ne l'était pas), n'y avait-il pas d'autres recours que l'attaque de l'avion russe avec une prise de risque déraisonnable pouvant entraîner une escalade gravissime entre la Russie et l'OTAN? 

1.- LA TURQUIE, PRENEUR D'ORDRES SUBALTERNE 

Sans doute, de juteux trafics ont été compromis par les bombardements intensifs de la Russie au nord de la Syrie. A l'ombre l'EI et de la déstabilisation du régime de Damas, des fortunes se constituent et toutes sortes de mafias se battent becs et ongles pour les préserver et les consolider. 

Toutefois, jamais la Turquie (des informations convergentes indiquent que des personnages proches du pouvoir tirent parti de ces transactions occultes) n'aurait pris le risque considérable d'abattre un bombardier russe sans le feu vert de Washington. C'est pourquoi on peut penser que c'est probablement sur ordre américain que le Sukhoï a été abattu. 

Le changement brutal de tactique de Poutine en Syrie, (vraisemblablement parce que l'armée syrienne était en difficulté alors que les «rebelles» se présentaient face à Lattaquié et Tartous), a pris par surprise les stratèges américains et a brouillé les cartes de ceux qui veulent absolument se débarrasser de Assad et de ses protecteurs (russes, iraniens et sud-libanais). 

Lorsque début septembre les Américains avaient détecté la hausse de leur trafic aérien militaire et de leurs manœuvres navales dans les eaux syriennes (pouvait-il vraiment en aller autrement?), S. Lavrov très irrité avait rétorqué: Si Moscou décide de renforcer sa présence en Syrie, ce sera uniquement «en accord avec nos lois, avec le droit international, avec nos obligations internationales et uniquement sur demande et avec l'accord du gouvernement syrien et des gouvernements des autres pays de la région». 

La Russie «n'a jamais caché sa présence militaire en Syrie. Des experts militaires russes travaillent en Syrie, ils aident l'armée syrienne à apprendre à utiliser nos armes», a-t-il martelé, visiblement exaspéré. 

Il est cependant possible que les Etats-Unis n'avaient mesuré la portée du renforcement de la Russie en Syrie et le format exact de sa résolution. 

2.- EFFET BOOMERANG 

La réplique russe est venue très vite et à une échelle que Ankara n'a peut-être pas prévue. 

Moscou commence par imposer un visa aux ressortissants Turcs. Et il sera dorénavant interdit aux employeurs russes d'embaucher des Turcs à partir du 1er janvier 2016.

Le ministère russe de l'Agriculture renforce les contrôles sur les produits agricoles et alimentaires importés de Turquie pour cause de «violations répétées des normes» sanitaires. 

Ces restrictions non tarifaires offrent de vastes marges de manœuvre, à la discrétion des autorités. Les Américains en ont usé et abusé depuis 1945, se jouant selon les circonstances des règles du GATT. Les douanes inspectent d'ores et déjà toutes les marchandises arrivant de Turquie sans se limiter à la nourriture, entraînant retards, blocages et pertes économiques. 

Les importations turques en Russie ont dépassé trois milliards de dollars sur les trois premiers trimestres 2015, dont 280 millions de dollars pour les tomates. Une goutte d'eau dans le commerce mondial, mais des sommes importantes pour l'économie (et l'agriculture) turque. 

Des projets entre les deux pays sont suspendus. Ces mesures risquent de remettre en cause la construction en cours de la première centrale nucléaire turque à Akkuyu (sud) et d'enterrer pour une durée indéterminée le projet de gazoduc TurkStream, aujourd'hui en stand by. 

Les Russes se trouvant en Turquie ont été appelés à rentrer en Russie par le ministère des Affaires étrangères, qui a invoqué «l'actuelle menace terroriste en Turquie». Le Kremlin a ordonné aux compagnies charters d'interrompre tout trafic vers ce pays. 

Les flux touristiques internationaux sont fortement perturbés par l'instabilité régionale et cela depuis de nombreuses années. Ces mesures vont priver la Turquie de revenus consécutifs à la perte de plus de trois millions de touristes par an. Le tourisme turc rejoindrait alors le sort peu enviable du tourisme de son voisin égyptien. Ce qui réjouira les pays concurrents: Chypre et la Grèce ont tant besoin de recettes extérieures et qui ont déjà tiré parti du naufrage du tourisme des rives sud de la Méditerranée, du tourisme tunisien en particulier. 

Poutine s'offre le luxe d'enfoncer le clou en mettant toutes ces mesures de rétorsion sur le compte d'Ankara: «Nous avons l'impression que les dirigeants turcs conduisent sciemment les relations russo-turques dans l'impasse». Il avertit: les bombardiers tactiques russes opérant au-dessus de la Syrie seront désormais équipés de missiles air-air. Des SS-300 seront déployés et il envisage d'installer des SS-400 (dispositif équivalent au système Patriot US). Il n'y aura pas que la Turquie pour s'en préoccuper. 

La réaction de Moscou est sans ambigüité. Les enchères montent. Poutine tape là où ça fait mal. Il est difficile d'évaluer les conséquences de ces décisions si elles étaient toutes mises en oeuvre. 

Pour endiguer un processus qui prenait des proportions démesurées, dans la précipitation Erdogan propose à son homologue russe une rencontre au Sommet à Paris en marge de la Cop21 fin novembre-début décembre. La réponse de Poutine a été immédiate et cinglante refusant catégoriquement de l'envisager. 

A l'évidence, la destruction du Soukhoï s'avère parfaitement contraire aux intérêts turcs. Maladroit ou mal conseillé, Ankara se retrouve à peu près dans la même situation que Paris. Se fâcher avec des pays avec lesquels ils gagnent à consolider leurs relations. 

Les Américains sont en voie (malgré les dissentiments israélo-saoudiens) de rétablir leurs relations avec l'Iran. Les Français (contre leurs intérêts) qui ont soutenu les Etats-Unis se retrouvent aujourd'hui fort marris. Réactifs, discrets et habiles, les Allemands ont très vite pris le train en marche. 

Nous le savons pour l'avoir observé à maintes reprises, que le «pragmatisme» US n'a aucune considération ni aménité pour ses «alliés». L'Amérique ne se préoccupe que de ses intérêts. Tous ceux qui s'y précipitent sont soit des benêts, soit des agioteurs opportunistes qui projettent d'y négocier ce qui le leur appartient pas. Comment la France et la Turquie pourraient-elles espérer y retrouver les leurs lorsque, sur le sort de la Syrie, les Etats-Unis et la Russie s'entendront (et ils s'entendront fatalement parce qu'il n'y a pas d'autres issue à cette crise)? 

Est-ce pour cette raison que de nombreuses délégations parlementaires et patronales françaises se pressent ces derniers mois à Damas? Même Sarkozy - au grand déplaisir de l'Elysée - s'autorise un voyage à Moscou fin octobre. 

DE KIEV A DAMAS. UN JEU DANGEREUX DE POKER MENTEUR 

De quels objectifs au juste relève la décision d'abattre un avion russe au-dessus de la Syrie? S'agirait-il d'un test de la détermination du Kremlin? D'un avertissement au lendemain d'une rencontre lundi 23 novembre entre Poutine et l'ayatollah Khamenei à Téhéran? D'une réponse à la contre-offensive aérienne massive de Moscou? D'un marquage d'une «ligne rouge» ou d'un territoire dont on ne connaît pas encore les propriétés et les contours? 

De plus en plus la crise ukrainienne et la crise syrienne convergent. Le front s'éclaircit et l'ennemi apparaît peu à peu au grand jour. Après le départ de l'accommodant (pour le moins) Boris Eltsine, l'arrivée de Poutine a donné le change, un temps. Mais très tôt les objectifs du nouveau maître du Kremlin apparaissaient de moins en moins compatibles avec les projets américains. Le retour et la reconstitution d'une URSS.2.0, sur un socle communiste bureaucratique ou nationaliste teintée d'orthodoxie, peu importe, cette perspective n'est pas acceptable. Washington a décrété (prématurément?) la «Fin de l'Histoire». Il n'est pas question de retourner à la situation d'avant-1990. Le Mur de Berlin ne saurait être reconstruit. 

TOUTES SORTES DE REPONSES GRADUEES ONT ETE APPLIQUEES AU CAS POUTINE 

Certes, la situation du Kremlin est très fragile. Les revenus extérieurs de sa pétro-économie se tarissent, les réserves de change s'érodent, les agences de rating s'en donnent à cœur joie, les taux d'intérêt s'élèvent, le rouble se déprécie, entraînant inflation et pertes de pouvoir d'achat. L'économie souffre de l'embargo occidental. 

Mais en face de lui Obama est en échec pratiquement sur tous les fronts. Y compris le front intérieur où les Républicains contrôlent à peu près tous les leviers de commande. 

Les déroutes afghanes et irakiennes sont toujours d'actualité et Obama n'arrive pas à effacer les naufrages hérités des mandats Bush Jr. Le président américain n'arrive pas même pas à solder Guantanamo. Son Nobel sonne moins comme une gratification anticipée méritée que comme un espoir rétrospectif déçu. 

Les Américains ont beaucoup de mal à contrôler ce qui se passe sur le terrains des opérations où désormais ils répugnent à combattre. La guerre électronique, les drones, les bombardements (médiatiquement chirurgicaux) ne confèrent aucun avantage stratégique. Reste la bonne et vieille tactique de la mobilisation des «faisceaux» de harkis. Un général de pacotille au coeur du chaos libyen, des milices anti-talibanes en Afghanistan... Mais même habité par des certitudes médiévales, un mercenaire ne peut tout à la fois servir son Dieu et l'Empire. Pavlov et Aussaresses ont énoncé des théorèmes définitifs sur ce point. L'actualité «terroriste» en Europe le démontre. 

Le programme de formation entamé par les forces américaines en mai censé mettre sur pied 5.400 combattants par an destinés officiellement à lutter contre l'EI et à renforcer le camp des «démocrates syriens opposé au régime de Assad) a été abandonnée. Il s'agissait pourtant d'une pièce maîtresse de la stratégie de Washington. Seuls quatre ou cinq insurgés syriens formés par l'armée américaine pour combattre les djihadistes de l'Etat islamique sont toujours actifs L'entreprise a d'emblée tourné au fiasco, les 60 premiers bénéficiaires de la formation ayant été défaits par le Front al Nosra, la branche syrienne d'Al Qaïda, dès leur arrivée sur le terrain. 

PENALITES CONTRE-PRODUCTIVES 

La popularité de Poutine demeure très élevée, malgré les difficultés économiques et se consolide à chaque mesure coercitive occidentale. Les Russes voient clair dans les assauts dont ils sont victimes et, s'ils leur arrive de critiquer leur dirigeants, ils ne se font aucune illusion sur les enjeux de la querelle qu'on leur fait. Même les oligarques sur le mécontentement duquel on pariait pour pousser sinon à un changement à la tête de la Russie, du moins à une inflexion significative de sa politique, à quelques exceptions vite «maîtrisées», n'ont pas cédé. 

Les Russes (ainsi d'ailleurs que tous les ex-PECO) ont beaucoup appris des promesses occidentales. Ils observent la théorie de polichinelles pitoyables dont les Etats-Unis derrière la scène («Leading from behind») tirent les ficelles. Ils ne se laissent pas abuser par l'émergence de «sociétés civiles» apolitiques ou d'ONG à buts à géométrie sociétale variable: Pussy-Riot, écologistes, congrégations évangéliques subversives - méthodistes, pentecôtistes... (des machines prosélytes agressives qui inquiètent même les autorités apostoliques romaines en ce qu'elles envahissent sans ménagement de très anciennes terres catholiques, en Amérique Latine et en Afrique). 

Ce n'est qu'en 2008 que les Russes ont retrouvé leur niveau de vie d'avant 1990. 

Même si les médias et les gouvernements occidentaux le minore, l'embargo infligé à la Russie pénalisent en réalité leurs propres activités et leurs exportations. Les agriculteurs et éleveurs français souffrent de ne pouvoir accéder au marché russe. Des industriels allemands sont très mécontents d'une politique imposée par l'Amérique qui perturbe leurs relations profitables avec leurs voisins russes. Et l'ancien chancelier Schröder, membre du Conseil d'Administration de Gazprom, serait le premier à en convenir. 

De fortes réticences - médiatiquement prestement bâillonnées - se sont élevées contre la rupture du contrat de vente des Mistral à Moscou. Cela a contribué à creuser l'impopularité du gouvernement français et brouillé un paysage politique hexagonal au bord de l'implosion. Les désordres politiques s'ajoutant aux déficits économiques, sociaux et financiers, bientôt le «terrorisme islamiste» sera le cadet des soucis de l'exécutif Français qui ne pourra durablement occulter aux yeux de l'opinion les vrais handicaps de la France ni à quels politiques elle les doit. 

Il en est de même de la plupart des obligés européens de l'Amérique qui boudent ou critiquent à reculons une politique à laquelle Washington les contraints. 

L'ALTERNATIVE EURO-ASIATIQUE EST TOUJOURS D'ACTUALITE 

L'axe Moscou-Pékin-Téhéran-Damas-Hezbollah tient toujours. 

Exemple récent: Ankara sous pression US annule le 15 novembre un important achat de missiles chinois (3Mds$). Qu'à cela ne tienne, Pékin multiplie ses échanges avec Moscou avec qui elle vient de conclure ce 19 novembre un contrat de fourniture de son dernier modèle d'avion: 24 chasseurs Sukhoï-35 pour près de 2 Mds$. 

Au cours des vingt dernières années, les échanges commerciaux bilatéraux ont été multipliés par quatorze. Moscou fournissant à Pékin des technologies militaires et spatiales ainsi que des matières premières (notamment de l'énergie ce qui permet aux Chinois de réduire la pression des «Sept sœurs»), tout en important massivement des produits de consommation courante chinois. Cela sans compter la coopération géoéconomique qui se profile via l'arctique, à la faveur du réchauffement climatique qui n'a pas que des inconvénients. 

En sorte que le blocus exercé par l'Occident sur la Russie est en train de modifier la structure géopolitique de son économie et de son commerce extérieur. Et d'une certaine manière lui rend un peu service, notamment, en facilitant la substitution production/importations (que d'autres pays particulièrement mal gérés et mal gouvernés, sont incapables de concevoir et de réaliser). 

BLOCAGE UKRAINIEN 

Non loin du théâtre turco-syrien, l'Ukraine paie les conséquences du coup d'Etat de février 2014. O. Porochenko (et son obscure Premier ministre A. Iatseniouk) plastronne dans le vide et affronte une situation économique et financière au bord de la rupture. L'Ukraine de l'après-Maïdan ne pourrait tenir longtemps sans les secours extérieurs du FMI et de généreux donateurs qui escomptent se payer plus tard sur la bête. Naturellement, les journalistes occidentaux qui prisent les mouvements d'ensemble, ont déserté ce front et ne rapportent plus rien de Kiev où la situation sociale se délite de jour en jour. 

Lors de la manifestation fin octobre dernier à Kiev, dont les citoyens de l'Union Européennes n'ont pas vu les images sur leurs écrans de télévision, on entend ces slogans: «C'est curieux», lance Vitali Selyk, 26 ans, qui tient une affiche sur laquelle on peut lire «nouveau président, toujours les mêmes fonctionnaires corrompus». «Je suis indigné par le fait que rien n'est fait contre la corruption. Mes amis hommes d'affaires disent qu'il y a plus de corruption avec le nouveau régime», ajoute-t-il. «J'ai un drôle de sentiment de revivre l'histoire d'il y a deux ans, c'est du déjà vu». (AFP, le S. 31/10/2015 à 18:44) 

Si la crise économique aggravée par la guerre frappe de plein fouet les Ukrainiens et les principaux oligarques, le président Porochenko est l'un des rares qui prospère, selon une enquête publiée le vendredi 30 octobre dernier par le magazine Novoïé Vremia. 

En effet, le chef de l'Etat est le seul, parmi les dix Ukrainiens les plus riches, à avoir vu sa fortune augmenter de 20% à 979 millions de dollars, malgré sa promesse de vendre ses entreprises après son élection en mai 2014. 

Toute la question est de savoir combien de temps cela va durer et qui cèdera en premier. 

La destruction du Soukhoï-24 russe peut s'avérer n'être qu'un incident sans suite. Il peut au contraire marquer une transition de phase à la fois dans l'administration de la crise syrienne et dans l'évolution des relations internationales entre les Etats-Unis et la Russie poutinienne. 

* RETOUR A LA QUESTION D'ORIENT 

Longtemps la Turquie avait été donnée en modèle réussi d'interférence entre uniformisation mondialisée et altérité. Quelle naïveté! 

On sait aujourd'hui que c'est une expérience sans issue. En vérité, l'image de la Turquie n'a pas bougé d'un iota depuis le jour où Fatih Mehmed II a pris pied à Constantinople en 1453. 

«Prétendre civiliser la Turquie en lui donnant des bateaux à vapeur et des chemins de fer, en disciplinant ses armées, en lui apprenant à manœuvrer ses flottes, ce n'est pas étendre la civilisation en Orient, c'est introduire la barbarie en Occident...» Ces mots de Chateaubriand, (Mémoires d'outre-tombe, 1850) n'ont rien perdu de leur actualité. Ils semblent tirés d'un tabloïd ou d'un journal télévisé interprétant la triste actualité. 

Coincée entre l'OTAN, les monarchies du Golfe et ce qui reste des chimères d'Atatürk, Ankara piétine au seuil d'un destin impossible. 

Erdogan n'a pas l'envergure d'un stratège. C'est un opportuniste qui s'essaye à un jeu qui dépasse très largement ses capacités. Ni le délire de reconstitution de l'Empire Ottoman qu'on lui prête ni, prétextant le 1/30ème de sa superficie de son pays par-delà la Corne d'Or, l'admission de son pays au sein de l'UE ne sont des projets stratégiques vraisemblables. 

Les Européenne ne veulent ni de la Turquie ni de l'Ukraine. 

L'Union est en but à des questions de survie. Une crise économique persistante entretient dans de nombreux pays le chômage, l'endettement, les déficits et une sourde contestation de la gouvernance politique. De plus, un fossé se creuse irréversiblement entre le nord, relativement prospère et vertueux dominé par l'Allemagne et le sud où s'étend l'inégalité et la pauvreté, face à des rives méridionales dévastées par les guerres civiles et désertées par des flux ininterrompus de centaines de milliers de réfugiés meurtris et dépenaillés. 

Pour compléter le tableau, une vague anti-européenne irrépressible parcourt le continent souhaitant dissoudre une Union qui a trahi beaucoup de ses idéaux. 

La demande réitérée à Paris cette semaine par Erdogan d'ouvrir à nouveau des négociations dans le cadre du Processus de Copenhague, a du faire rire sous cap ses partenaires européens. Erdogan ne s'est pas arrêté là: il espère voir la Turquie rejoindre l'Euroland au plus tôt. 

Vouloir y entrer au moment où beaucoup ne rêvent que d'en sortir... Il faut être turc ou ukrainien pour ne pas voir ce qu'il y a d'incongru dans ces projets. 

Toutes ces hypothèses et désires d'adhésions seront conditionnées par des référendums et les sondages renvoient régulièrement les mêmes résultats. A la rigueur (et la rigueur s'impose en l'occurrence), l'Europe peut admettre d'européaniser des Turcs ou des Ukrainiens, voire une grande variété de citoyens du monde en son sein. Mais des adhésions de nouveaux pays ne sont pas à l'ordre du jour et ne le seront probablement pas avant longtemps. Il faudra d'abord s'assurer que l'Union garantisse sa propre existence... 

De cela, Erdogan et Porochenko (ainsi d'ailleurs que tous les politiques des pays de l'Union) sont parfaitement informés. 

En attendant, la Turquie devra se contenter de faire la «vaisselle». Les Européens lui accordent 3Mds€ pour gérer à leur place le désordre innombrable qui s'entasse en ses frontières. 

* RETOUR A LA GUERRE FROIDE 

Les Etats-Unis ont mis une décennie pour abattre le régime soviétique. Le contre-choc pétrolier de 1986 et le lancement du programme «SDI» ont pesé de manière décisive. Le rétablissement du COCOM (échafaudé lors de la Guerre de Corée et repris par R. Reagan dès 1981) a complété le dispositif de «containment». Inutile d'insister sur la collaboration active du Vatican de Jean-Paul II. 

Le système militaro-industriel US a toujours exagéré la menace soviétique pour entretenir les commandes publiques adressées à ses entreprises. Pas d'ennemis, pas d'industries de défense, pas de retombées favorables sur le reste d'une économie ainsi subventionnée. On se souvient des procès retentissants dont furent l'objet au début des années 30, à l'arrivée de Roosevelt à la Maison Blanche, des industriels de l'armement qui ont précipité l'Amérique dans l'enfer de la première guerre mondiale en 1917. 

L'idée de Guerre est-ouest est abordée sous l'angle d'une fausse symétrie. La Russie, pas plus que feue-URSS n'a pesé face au géant américain. Bon l'an mal an, le PIB de la Russie équivaut au budget du Pentagone qui représente près de la moitié des dépenses d'armement sur toute la planète. En 2013, pour leur défense, les Etats-Unis dépensent 600 Mds$, seulement 68 pour la Russie (pour mémoire, 60 Mds$ par l'Arabie Saoudite). 

La situation de la Russie peut être décrite par des vocables vulgarisés sous le Général de Gaulle: «force de dissuasion», la «réponse du faible au fort»: «Je serait battu mais les dommages que j'aurai infligées à mon ennemi seraient abominables.» 

Paradoxalement, le monde est plus menacé aujourd'hui par un risque de guerre qu'avant 1990. A l'abri derrière l'hubris d'une hyperpuissance, certains Dr Folamour seraient tentés de croire la victoire plus aisée. 

En Amérique, il est d'authentiques irresponsables dans la hiérarchie des décisions à des hauteurs insoupçonnées. A suivre les primaires républicaines et démocrates on peut être saisi d'inquiétude. Mais en Amérique il est aussi des hommes et des dispositifs raisonnables qui savent distinguer la distance qui s'impose entre le souhaitable et le possible. 

Est-ce peut-être ainsi qu'il conviendrait d'interpréter la destruction du bombardier russe par la chasse turque? 

Notes 

Ironiquement, Obama a beau jeu de se poser en arbitre bienveillant, conseillant à Moscou et à Ankara de se concentrer sur leur ennemi commun. 

2- Au cours de ce sommet, Ali Khamenei déclare: «le plan à long terme des Américains est de dominer la Syrie et ensuite prendre le contrôle de la région». C'est, selon lui, «une menace (...) en particulier pour la Russie et l'Iran». Bachar al-Assad «est le président légal et élu par le peuple syrien» et «les Etats-Unis n'ont pas le droit d'ignorer ce vote et ce choix». 

3- Cf. «Poutine». Le Quotidien d'Oran, 05 octobre 2011. 

4- Seules les contradictions internes, propres au système piloté à partir de l'Amérique, limitent ses capacités d'intervention ou génèrent les incohérences apparentes qui troublent les analyses des «experts» qui se perdent quelques fois en conjectures. Cf. A. Benelhadj: Netanyahu à Washington. Le Quotidien d'Oran, 19 mars 2015. 

5- Dans le gouvernement formé au mois de décembre 2014 le ministère de l'Économie est confié à l'homme d'affaires lituanien Aivaras Abromavicius (formé à la Concordia University dans le Wisconsin), celui des finances à une américaine Natalie Jaresko, ancienne chef de la section économique de l'ambassade des États-Unis en Ukraine de 1992 à 1995 et le portefeuille de la santé à Aleksander Kvitachvili, ancien ministre de la Santé de Géorgie, pays qui accueille la principale base de l'Otan de la région. Tous les trois naturalisés ukrainiens par décret présidentiel express. Des mœurs qui n'auraient pas été reniées par H. Kissinger à l'époque où il faisait et défaisait les gouvernements en Amérique du Sud à coups de coups d'Etat militaires. 

 Source : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5221968

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