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12 septembre 2013

Une intervention en Syrie, contraire au droit international et injustifiée politiquement.

tomahawk_missile_launchLe 11.09.13

Alors que l’actualité nous livre à ce sujet des rebondissements d’heure en heure, il demeure probable qu’une intervention menée par la France et les Etats-Unis contre le régime syrien aura lieu au cours des prochains jours, sinon des toutes prochaines semaines.

Pourtant, il y a lieu de rappeler que cette intervention est non seulement illicite au regard du droit international, mais soulève également de nombreux problèmes politiques.

Une intervention contraire au droit international

Depuis 1945, la communauté internationale est organisée autour de certains principes qui sont enchâssés dans la Charte des Nations unies. Le premier et potentiellement le plus important d’entre eux se trouve à son article 2 paragraphe 4, qui stipule que les membres de l’organisation doivent s’abstenir «dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies». Ce principe a été reconfirmé à plusieurs reprises depuis, et doit être considéré comme étant la pierre angulaire des relations interétatiques du monde contemporain.

Ce principe souffre, néanmoins, de deux exceptions. La première est celle qui permet au Conseil de sécurité d’intervenir lorsque la paix et la sécurité internationales sont menacées. Cette exception n’est pas pertinente pour notre propos, dans la mesure où tout porte à croire que le veto de la Chine et de la Russie empêcheront l’adoption d’une résolution permettant une telle intervention du Conseil de sécurité. La seconde concerne le droit naturel au recours à la légitime défense. Deux éléments de ce droit nous empêchent, toutefois, de revendiquer ce principe pour justifier l’intervention en Syrie. Premièrement, selon les interprétations dominantes, ce droit ne peut être revendiqué que dans un conflit interétatique, c’est-à-dire lorsqu’un Etat en attaque (ou, selon certains, menace d’en attaquer) un autre, ce qui n’est pas le cas en Syrie. A lui seul, ce fait invalide l’argument de la légitime défense, mais de surcroît rappelons que ce droit ne peut être exercé qu’afin de repousser une attaque et en aucun cas afin de punir un opposant.

Or, non seulement les promoteurs de l’intervention n’ont pas, à notre avis, soutenu de manière convaincante que les bombardements ont comme objectif de faire cesser une attaque, ni même d’empêcher une future utilisation d’armes chimiques (certains sont d’avis qu’ils risquent même d’avoir l’effet inverse), mais on a même justifié ceux-ci par l’objectif de «punir» le régime d’Assad d’avoir utilisé de telles armes. Deux arguments juridiques supplémentaires ont été avancés pour justifier les bombardements. On a d’abord soutenu que l’utilisation d’armes chimiques constitue une violation des obligations de la Syrie, qui lui incombent de par le droit international humanitaire. Mais même en supposant que le régime soit bien responsable de ces attaques (nous y reviendrons), cet argument doit être rejeté parce que lesdits instruments de droit humanitaire ne prévoient aucun recours en cas de violation, à part bien sûr une résolution du Conseil de sécurité qui permettrait une intervention, ce qui n’aura vraisemblablement pas lieu dans la situation actuelle.

D’autres ont aussi mentionné le soi-disant principe de la «responsabilité de protéger» qui existerait, selon eux, depuis l’adoption par l’Assemblée générale de Nations unies, en 2005, d’un document ayant la valeur d’une résolution, évoquant ce principe. On doit toutefois rappeler à ceux-là qu’il est depuis longtemps accepté par tous que, sauf exceptions (exceptions dont ledit document ne fait pas partie), les résolutions de l’Assemblée générale n’ont aucun pouvoir juridique contraignant et ne peut être considéré comme ayant valeur légale, et a fortiori lorsqu’il est aussi contradictoire avec les principes mêmes du droit international, dont il a été fait état plus haut. Cet argument doit aussi être écarté.
En d’autres termes, non seulement l’intervention ne se justifie pas par une quelconque règle de droit international, mais sera, si elle a lieu, en flagrante violation de celui-ci. Il est même à parier qu’elle serait dénoncée par le Conseil de sécurité si les principaux instigateurs de celle-ci n’y possédaient pas un droit de veto.

Des incohérences politiques

Ces arguments, j’en suis sûr, ne suffisent pas à convaincre ceux pour qui le droit international ne joue pas, ou ne devrait pas jouer un rôle important dans le jeu de la politique internationale. Avant de répondre aux arguments qui peuvent être déduits de cette position, soulignons l’ironie du fait que celle-ci vient souvent de ceux qui sont prêts à intervenir à l’étranger, lorsque la démocratie, la règle de droit et les droits humains ne sont pas respectés. Bref, violons le droit international pour y instaurer la règle de droit…

Avant toute chose, et sans refaire l’histoire des relations entre les peuples des cinq cents dernières années, il y a lieu de souligner que celle-ci se démarque par de régulières interventions de la part des puissances (post) coloniales occidentales à travers le monde sous différents prétextes (que ce soit la christianisation des Amériques, le fardeau de l’homme blanc d’apporter la «civilisation» en Afrique, l’instauration de la «démocratie» en Irak, etc.) et que ces différentes interventions se sont régulièrement terminées en catastrophes, voire en génocides (bien évidemment non reconnus). Il serait sage, à notre avis, de prendre leçon de cette histoire et de cesser d’approuver de telles interventions.

Certains affirment donc que malgré ce qu’en dit le droit international, il n’est pas moral de laisser mourir des civils syriens innocents et qu’une intervention de l’Occident est donc nécessaire. Cet argument postule donc que ce sont des motifs humanistes ou humanitaires qui constituent la principale raison justifiant l’intervention, ce à quoi on répondra que si les Occidentaux étaient véritablement préoccupés par de tels motifs, il y aurait longtemps qu’ils auraient pris des mesures sérieuses pour faire cesser les carnages au Congo, où les différents conflits ont fait entre 6 et 8 millions de morts depuis vingt ans. Pourquoi une intervention en Syrie et pas au Congo ? Une analyse des intérêts des entreprises occidentales (et notamment minières) dans ce dernier pays saurait peut-être nous donner la réponse.

Parallèlement, l’utilisation de l’arme chimique par Damas constituerait une «ligne rouge» qu’il ne fallait pas dépasser. Pourtant, et comme le faisait récemment remarquer Stephen Walt dans Foreig Policy, il y a une certaine incohérence à utiliser des armes qui sont – on doit l’admettre – beaucoup plus meurtrières que les armes chimiques pour punir des attaques faites avec ces dernières. Il y a lieu de se demander, par ailleurs, s’il est beaucoup plus «moral» d’effectuer des bombardements (qui vont inévitablement tuer un nombre important de civils) à partir d’avions dont les pilotes ne risquent à peu près rien, voire à partir de drones, que d’utiliser des armes chimiques. Bien sûr, on peut dire que l’utilisation de ces dernières est contraire au droit international, mais cet argument venant de la bouche de ceux qui ne se soucient guère de l’illégalité des bombardements, n’a pas beaucoup de crédibilité.

Revenons un instant sur cette attaque à l’arme chimique d’il y a deux semaines et qui sert de justification aux futurs bombardements. Rappelons d’abord qu’au moment d’écrire ces lignes, les Etats-Unis et la France demeurent incapables d’apporter des preuves que cette  attaque à l’arme chimique soit le fait du régime et non des rebelles (ou d’autres acteurs intéressés) et que nous sommes, à ce jour, obligés de les croire sur parole, situation qui rappelle ironiquement les «preuves» apportées, en 2003, par Colin Powell à l’effet que l’Irak possédait des armes de destruction massive ce qui, on le sait maintenant (plusieurs d’entre nous s’en doutaient d’ailleurs déjà à l’époque), était complètement faux. Ensuite, que de nombreux indices nous laissent croire que les rebelles ont également utilisé de telles armes, à quelques reprises au moins, depuis le début du conflit. Or, non seulement l’Occident (ainsi que certaines monarchies pétrolières) n’a pas levé le petit doigt pour réprimer ces attaques, mais il a continué à appuyer politiquement et à armer les rebelles. Enfin, il est encore une fois ironique de constater que les Etats-Unis se positionnent encore une fois en donneurs de leçon, au moment même où l’on a la confirmation qu’ils furent les complices directs d’attaques à l’arme chimique effectuées par l’Irak contre l’Iran, lors de la guerre entre ces deux pays, dans les années 1980.

Quel avenir pour la Syrie ?

Les interventions militaires menées par les Etats-Unis au cours des dix dernières années ont donné des résultats catastrophiques. Si l’attaque contre l’Afghanistan a donné des résultats mitigés, il y aurait eu environ 130 000 morts, dont 100 000 civils en Irak depuis l’intervention. L’agression contre la Libye, pour sa part, a non seulement créé le chaos dans le pays sur lequel la menace d’une guerre civile plane toujours et dans lequel la situation des droits humains ne s’est nullement améliorée depuis la chute d’El Gueddafi, mais a, en plus, complètement déstabilisé la région.

La situation au Mali étant là pour nous le prouver. Compte tenu de la complexité ethnique, religieuse et politique de la Syrie, il n’est pas sûr qu’une intervention de quelque nature que ce soit n’ait pas comme résultat d’empirer grandement une situation déjà désastreuse, notamment parce que des puissances extérieures ont pris sur elles d’intervenir dans les affaires internes du pays, en appuyant et en armant son opposition (constituée en partie, on le sait, d’extrémistes religieux du type qui ont justifié l’intervention de la France au Mali il y a quelques mois). J’ai récemment lu des éditorialistes de mon pays écrire qu’une intervention en Syrie était «moralement et politiquement justifiée». Je crois au contraire que ce qui serait «moralement et politiquement justifié», c’est que l’Occident cesse de semer le chaos en intervenant constamment un peu partout dans le monde et arrête enfin de se positionner constamment en porteur de civilisation et en donneur de leçons. Son bilan, prouvé par l’histoire des relations entre les peuples des 500 dernières années, nous semble être déjà suffisamment meurtrier.

 Rémi Bachand. Professeur de droit international et directeur du Centre d’étude sur le droit international et la mondialisation.
Université du Québec, à Montréal.

Source : http://www.elwatan.com/contributions/une-intervention-en-syrie-contraire-au-droit-international-et-injustifiee-politiquement-11-09-2013-227573_120.php

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