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15 mai 2014

C'est la faute au système !

Par Abdellatif Bousenane *

Le mot «système» revient souvent dans les discussions entre Algériens. Il est très intéressant d'analyser et d'observer l'utilisation de ce mot dans notre société. Cela peut nous révéler, en effet, plusieurs indicateurs dans la compréhension de notre réalité. Qu'est-ce que c'est que «le système» ? Est-il le seul responsable de toutes nos difficultés ? 

Ce mot désigne-t-il seulement le pouvoir politique, ou désigne-t-il d'autres significations plus profondes ? Quoique le mot n'est pas très approprié car un système politique est beaucoup plus globale qu'un régime politique ou même un pouvoir politique. 

Prenons l'exemple de l'élite de ce peuple, les enseignants universitaires en l'occurrence. Selon les chiffres officiels, 80% de nos enseignants à l'université n'arrivent pas à soutenir leurs thèses de doctorats. Il y a parmi eux, ceux qui sont dans cette situation pendant plusieurs années. L'obstacle majeur à cette soutenance c'est l'incapacité à publier dans une revue spécialisée reconnu. Il faut souligner que la production universitaire en Algérie est parmi les plus faibles au monde. Dès lors, on organise très rarement des colloques, séminaires et journées d'études. On peut conclure ainsi que notre élite ne produit pas, pire encore, on n'arrive même pas à reproduire, à traduire ce que produisent les autres. Si vous posez la question à l'un de nos cher confrères, la réponse est sans appel : " c'est la faute au système " ! Ce fameux " système " doit-il accomplir le travail à la place de nos chercheurs !? Publier un article dans une revue spécialisée, ça nécessite pas des gros moyens. Il faut juste lires des ouvrages dans son domaine de recherches et fournir un effort intellectuel individuel pour analyser et puis écrire ses conclusions. Il faut juste consacrer beaucoup de temps et de patience. Chose que, fort heureusement, fait une minorité. 

On peut citer beaucoup d'exemples dans cette perspective. Le cas de l'investissement privé est très significatif. Dans une économie de marché, l'implication et l'action du privé est, effectivement, centrale. Alors que la plupart de nos riches préfèrent le gain facile et rapide. Là encore, le " système " est souvent montré du doigt ! Au lieu d'investir dans des secteurs à forte valeur ajoutée notamment l'industrie et l'agriculture, nos milliardaires choisissent, entre autres, la spéculation dans l'immobilier et puis le déclaré à un prix 5 fois moins chers voir beaucoup moins, pour payer des miettes aux services des impôts. On n'a pas encore compris l'utilité de payer ses impôts ? Pour que l'état construise des écoles pour ses enfants, des hôpitaux pour se soigner, des routes, de l'électricité…etc. L'ex président américain Théodore Roosevelt assit sur sa chaise roulante, un exemple par hasard! Affirmait que " ne pas payer ses impôts c'est le début de la barbarie ". Venant de la bouche d'un ex-chef de l'empire du libéralisme; car le paradigme impôts est plus présent dans l'idéologie des gouverneurs de gauche et extrême gauche; nous mène à réfléchir sérieusement et nous alerte de l'extrême importance de ce problème. 

Entre «Habitus» et «conscience collective» : 

Et si le problème était typiquement psychologique! Dans la mesure où on renvoie toujours nos difficultés à un bouc émissaire imaginaire qu'on ne connaît même pas et dont on est incapable de le définir. Peut-être, parce qu'on n'a pas de réponses à beaucoup de questions ? Parce que, ça nous dérange de regarder la vérité en face ! Parce qu'on se culpabilise tous! Car on sait, finalement, au fond de nous-mêmes qu'on est tous responsable. 

Le " système " est un mot plus au moins neutre, personne ne se sente stigmatisé personnellement et physiquement par ce qualificatif. Les plus courageux, en ce qui concerne le volet politique de la chose, disent : " on est les fils du système " et non pas " le système " lui-même ce qui est très différent. Mais en réalité nous sommes tous les fils du système ! Tant qu'il y a des fils ! Qui est-il donc le père ? Et la mère? 

Je pense, que le père c'est notre " habitus ", un concept de Pierre Bourdieu, indique en sociologie des dispositions constantes, ou manières d'être communes à toutes les personnes d'un même groupe social. Et la mère c'est notre " conscience collective ", une notion utilisée par Emil Durkheim qui désigne les croyances et postures partagés dans une collectivité. 

Ne pas travailler assez, correctement ou ne pas fournir l'effort nécessaire pour accomplir sa mission, constitue le nœud de notre problématique. Si vous posez la question à n'importe quel ouvrier-retraité algérien, qui a vécu en France plusieurs années : pourquoi les Français sont plus développés que nous ? Il vous répond sans hésitation: eux ils travaillent et nous pas assez. Le constat est juste et l'équation semble facile voir simpliste. Néanmoins, cette question est extrêmement complexe qui relève de plusieurs paramètres. L'histoire, en est la principale, car l'Algérie appartenait à une civilisation arabo-musulmane en décadence depuis maintenant plus de 7 siècles. Si on rajoute à cela la colonisation destructrice pendant un siècle et 32 ans, on arrive au schéma suivant : un capital humain très affecté et affaiblie et donc une technicité réduite à un stade primaire chez l'individu algérien avec une perception de la notion " temps " inintelligible. Par conséquent, ceci influence le capital matériel et l'accumulation des richesses ; biens et services ; qui mène à nos très grandes difficultés économiques qu'on vit aujourd'hui. Apparaîtraient ainsi des conditions d'un cercle vicieux du dénuement, qui nous enferme tous, à des degrés différents, dans un engrenage et un marasme interminable. 

Qui contrôle qui ? 

Beaucoup de gens pensent que cela est du rôle de l'état. Ce dernier devrait contrôler et veiller à ce que tout le monde honore ses obligations. Mais, est-ce que l'état, moralement, doit contrôler un enseignant chercheur à l'université? Est-ce que cet enseignant accepte qu'un agent administratif moins instruit que lui, du moins théoriquement, vienne le contrôler? La réponse est claire. L'état peut-elle contrôler tout le monde? Vu les proportions et l'ampleur du problème, il est totalement impossible de contrôler tout le monde. Enfin, qui contrôle qui? Car le contrôleur a le même "habitus" que le contrôlé, ils ont tous les deux, en fait, la même " conscience collective "! Tous les deux sont algériens. 

Les exemples sont interminables. Si vous faites un tour, dans n'importe quelle ville algérienne, dans des cabinets de médecins, des cafés, des magasins, des salons de coiffure etc., on est, donc, dans des propriétés privées. Vous remarquerez immédiatement une espèce de laisser-aller en matière d'hygiène et d'entretien. Alors, qu'un coup de balai et un autre coup de pinceau de peinture sur les murs ne coutent pas trop cher. Là aussi, c'est la responsabilité du " système " ?! C'est un indicateur, à mon sens, très signifiant. Ce qui est ahurissant, il y a même, certains généraux et ministres en fonction qui renvoient la balle également, en off, au fameux "système" ! 

Face à ce constat d'incohérence, dédouaner tout le monde de leurs responsabilités et poser tout sur le " système ", c'est complètement irrationnel. 

L'Etat-providence et la coupe de cheveux ! 

Il est tout à fait compréhensible qu'après l'indépendance de l'Algérie, le pouvoir politique fait le choix d'un régime socialiste basé sur un état-providence. Vu que le peuple algérien était marginalisé, opprimé et martyrisé pendant plus de 132 ans par l'empire colonial libéral Français. Ce peuple a fait éclater l'une des plus grandes révolutions sur cette planète dans l'ère contemporaine. Il était donc logique à cette période-là d'opter pour l'option de l'Est et non pas l'occidentale. 

Mais après 1989, la chute du mur de Berlin et la fin de l'union soviétique, notre pays a été forcé de rentrer dans le rang de l'économie mondiale globalisée sous l'égide du tout puissant l'oncle Sam. Ainsi donc, on a connu le début du multipartisme, la fin de l'économie planifiée et la soumission à l'économie de marché libérale (ou l'économie de bazars !) bref, on a sonné la fin de l'état-providence. L'état dont tout le monde réclamait ses droits en lui demandant toujours plus. Aujourd'hui, cette attitude persiste encore chez une majorité d'algériens. Tout le monde tourne vers l'état pour la moindre monomanie. 

La grande contradiction dans laquelle tombe bon nombre d'observateurs, c'est de vouloir plus de liberté, à savoir moins de contrôle, moins de paternalisme, moins d'Etat. Mais de l'autre côté, ils demandent à l'Etat d'être l'acteur principal dans l'économie (l'industrie, l'agriculture…etc.). On  critique l’Etat sur les mauvais résultats enregistrés par les entreprises privés dans plusieurs secteurs d'activités ; on veut que l'Etat soit l'initiateur dans le domaine de la culture et lui reprochant la faiblesse des partis politiques de l'opposition et de la société civile, etc. À un moment donné, il faut choisir, soit on veut davantage d'Etat-providence dans lequel l'Etat doit être partout, peut créer des PME-PMI (ce qui est un blasphème inadmissible dans la religion capitaliste), peut s'ingérer dans les œuvres d'artistes, s'ingérer dans les affaires des partis politiques et peut même exiger le style de la coupe des cheveux de ses citoyens ! Il existe toujours des modèles de ce genre. La Corée du nord à titre d'exemple. Soit on veut un Etat démocratique où chacun prend ses responsabilités et devient l'acteur principal dans son domaine de compétence. Le privé est responsable de sa performance économique et l'Etat joue ainsi le rôle de facilitateur et de régulateur. 

Je ne suis pas en train de chercher le coupable, ce n'est pas mon propos. Ma démarche consiste à dire qu'on doit repenser, revisiter et redéfinir ce concept " le système " et le rendre beaucoup plus concret afin qu'on puisse, collectivement, questionner nos " habitus " individuels et notre "conscience collective " et pourquoi pas y trouver quelques solutions fut elles anodines, toutefois très symboliques. Même si on n'arrive pas, à travers ce procédé, à changer le cours de l'histoire, je pense, qu'on peut, au moins, apaiser et soulager une partie de nos maux et souffrances. 

* Docteur en sociologie politique 

Source : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5198164

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