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6 juin 2014

Inconscience et servitude, le devoir de se lever.

Par Hassane Kentabli (*)

«Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux; levons-nous !» J. Larkin 

Dette phrase a été prononcée par James Larkin, la figure emblématique du syndicalisme Irlandais du milieu du siècle dernier. Il est connu sous le nom de Big Jim. Afin de rappeler à chaque Irlandais cette devise, qui est devenue le moteur du peuple, une statue de ce grand homme a été érigée à Dublin, accompagnée de ces mots mobilisateurs. 

Elle prend place au milieu de la rue O'Connell, le lieu le plus fréquenté de la capitale irlandaise. Cette phrase, qui sonne et qui reste dans la mémoire commune de cette nation, a donné naissance à ce qu'on a appelé le Tigre Celte. Le terme utilisé par la banque d'investissement Morgan Stanely pour qualifier la forte croissance de l'Irlande entre 1994 et 2005. Elle transforma l'une des nations les plus pauvres en l'une des plus riches d'Europe ! 

La crise de 2007 a touché de plein fouet l'Irlande, au même titre que l'Espagne et la Grèce, au point de se retrouver sous la tutelle du FMI en 2010. 

Les mots de J. Larkin ont sonné à nouveau, pour rappeler, aux irlandais, qu'il n'y avait pas de fatalité et qu'il ne fallait pas rester à genoux trop longtemps. En 2013, le pays s'extirpa des dents du FMI avec un des meilleurs résultats de l'Europe pour l'emploi. Même si le chômage reste encore élevé, il chuta de 3,2 % en un an. 

Il est illusoire de croire qu'un tel succès est le seul fruit d'une classe dirigeante consciente et stratège. L'engagement du peuple, et surtout sa conscience des défis à relever, sont pour beaucoup dans la réussite durable de tels projets. 

Dans notre pays, nous utilisons fréquemment le terme « système » quand nous essayons d'analyser notre situation. C'est de sa faute, il faut le changer,… Mais en quoi consiste au juste ce système ? Pour beaucoup, cela sous-entend les différents éléments constituant le pouvoir. Le système est plutôt composé de deux entités : L'entité dirigeante (le pouvoir) et l'entité dirigée (le peuple). L'état d'une nation est le fruit de la nature de la relation entre ces deux entités. Face à un peuple conscient, le pouvoir est obligé de l'être également ou de disparaître. Il est face à un peuple maître de son destin. Alors que, même avec un pouvoir conscient, un peuple inconscient n'est jamais à l'abri.       

Il subira toutes les conséquences des changements de régime ou des luttes intestines qu'il peut y avoir au sein du pouvoir. 

Pour une nation, avoir un peuple conscient est la seule assurance qui garantit un avenir protégé et permet de se relever en cas d'accident de parcours. La nécessité de changer ou de réformer le système commence par le changement au sein du peuple. 

«Dieu ne change pas l'état d'un peuple avant que celui-ci n'ait changé ce qu'il y a dans son âme. » (XIII, 11). L'incompétence et la médiocrité de nos dirigeants, nous les vivons comme des sévices, mais ils ne sont que le miroir de notre peuple ; ils sont tous les deux de même nature. Si nous voulons le changement de notre système, nous devons commencer par le changement au sein de nous-mêmes. Nous devons nous lever et non pas nous soulever. Un peuple inconscient qui se soulève est un peuple qui se suicide. 

L'inconscience généralisée que nous vivons est criante. Elle a fini par nous causer plusieurs préjudices. Elle est un supplice, un châtiment! Une inconscience qui fait que nous nous comportons comme des locataires, les derniers locataires même, au lieu d'agir comme des propriétaires du pays. Nous n'avons pas fini de dilapider les richesses, qui sont le bien des générations futures, en les distribuant d'une manière sauvage et irresponsable, au point où les mots travail et mérite se sont vidés de leur sens. 

Certains continuent à croire que cela est la faute de nos seuls dirigeants et que n'importe quel peuple aussi conscient soit-il aurait accepté de telles offres, même au détriment de l'intérêt général. En 2012, la Suisse a connu un référendum, initié par le plus grand syndicat du pays. Il proposait deux semaines de congés payés en plus des quatre acquises.     

Le peuple helvétique, au-delà des intérêts individuels de chacun, estima qu'une telle mesure risquerait d'être nocive aux intérêts du pays. Le rejet a été massif et net avec la large majorité de 67%. 

Une inconscience jusqu'à l'indifférence, lorsque nos responsables ont laissé délibérément la descente du Mzab à l'enfer durant les quatre derniers mois, devant le silence assourdissant de l'élite du pays. Ou celle qui nous laisse comme des spectateurs chaque fois que l'une de nos régions s'embrase, en nous disant : pourvu que cela n'arrive pas dans notre propre région. Attitude allant jusqu'à traiter ceux qui refusent la servitude et l'injustice de mauvais citoyens ou même de traîtres au service des intérêts étrangers. 

Une inconscience au point de désamour ! Quand il s'agit d'amour, nous sommes un peuple qui l'exprime plus par l'action qu'avec des mots. Nombreux ceux qui aiment leur mère ou leur femme à mourir sans l'exprimer verbalement. Pourquoi notre Algérie doit-elle subir le traitement inverse ? 

Quand il s'agit de défendre le pays par des mots ou des symboles, nous sommes toujours présents, en brandissant le drapeau et les étendards, en psalmodiant des chants patriotiques, en s'agitant jusqu'à la violence même. Quant aux actes, il n'y a qu'à voir l'état de nos établissements publics et le degré de saleté de nos villes et cités. 

Une inconscience conjuguée au désespoir ont fait que, même parmi nos compatriotes instruits, on finit par croire que la dictature est la solution qu'il faut pour notre peuple ! Ou même encore plus grave, regretter le colonialisme. 

Notre combat doit être la lutte contre cette inconscience, par l'éducation et des actions, bonnes et efficaces, qui visent le réveil de la conscience de chacun d'entre nous. 

L'enfant reçoit, de ses parents, les premiers éléments de son éducation. C'est la première autorité qui s'exerce sur lui. Vient, ensuite, une deuxième autorité (externe) qui est celle de son maitre d'école. 

Albert Camus, le grand écrivain natif de notre pays, lorsqu'il a été sélectionné pour recevoir la très haute distinction du prix Nobel, a écrit à son maître « Quand j'en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous.». L'élève respectueux de son maitre et de son autorité donnera le bon citoyen de demain, respectueux de l'autorité des institutions de son pays. Si c'est auprès de ses parents que l'enfant apprend à se lever et à faire ses premiers pas, c'est à l'école qu'il apprend à marcher dans la société. 

A l'instar de l'Europe, qui a connu Napoléon, l'Asie centrale a connu, quatre siècles auparavant, l'empereur Tamerlan (Amir Timur). Ce guerrier donnait beaucoup d'importance au savoir. 
Il a fait de Samarkand, capitale timouride, un grand centre rayonnant, au même titre que Cordoue, après le déclin de Bagdad. Le visiteur du mausolée de Tamerlan, devant les différentes tombes qui se trouvent dans la pièce centrale du monument, sera vite attiré par la plus imposante d'entre elles. Il pensera, un instant, qu'elle est à l'empereur avant qu'il se rende compte que c'est celle de son maître. Tamerlan, respectueux du savoir, souhaitait une tombe plus petite et aux pieds de celle son maître! 

La mission du maître est double: transmettre le Savoir et inculquer les valeurs qui font de l'enfant le bon citoyen de demain. Se contenter de la transmission du seul savoir produit ce que nous constatons dans notre société, et qui a fait de certains de nos cadres des médecins sans scrupule, des architectes malhonnêtes ou des juges corrompus et injustes. L'effondrement de l'échelle des valeurs vient principalement de la défaillance de cette deuxième mission. 

La restauration de cette échelle imposera donc la réhabilitation de la position du maître dans la société et la réparation du lien maître-élève. Un travail qui ne viendra que par la sensibilisation et l'implication des parents d'élèves et par la reconnaissance et l'encouragement des maîtres. Nous devons exiger à ces derniers d'être à la hauteur de leur fonction et à l'Etat d'être plus sélectif dans sa méthode de recrutement. 

Notre lutte contre la servitude, qui a donné naissance à notre Etat, fût un exemple de combat pour beaucoup de peuples. Elle a fait notre fierté durant des années après notre indépendance. 

L'état actuel de notre nation nous jette dans une frustration sans précédent. Elle a pris place depuis qu'on a refusé de réinventer notre fierté, en la basant sur nos actions plutôt que sur celles de nos ancêtres. Cette frustration a fini par faire de nous des êtres qui pointent fièrement le nez vers le ciel sans qu'ils ne se rendent compte qu'ils sont toujours à genoux. 

Doit-on espérer ? Plus que jamais. L'avantage de beaucoup de crises, c'est qu'elles sont souvent génératrices d'espoir. Le matin d'avril que nous vécûmes était glacial, mais il a vu naître des lueurs d'espoir dans le pays. Je vois frémir ici et là des initiatives, témoins du réveil de nos consciences. Des consciences résolues à passer du stade de la dénonciation à celui de la proposition et de l'action. 

Des actions, comme celle initiée, récemment, par un groupe de jeunes d'Alger, résolus à s'attaquer au problème de la saleté permanente que connaît notre pays.

Alors que beaucoup d'entre nous se contenterait peut-être de dénoncer, des volontaires s'étaient donné rendez-vous les 10 et 17 mai derniers pour le nettoyage du quartier de la Casbah. Une action bonne et efficace à la fois, usant des réseaux sociaux pour en faire un moyen de mobilisation dépassant le stade de l'exhibition de la saleté de certains de nos quartiers. 

Afin de se mobiliser et de garder optimisme et espoir, il est important de trouver des exemples de réussite qui nous encouragent, et ils sont nombreux. Pour ma part, à chaque fois que je me sens atteint par le désespoir, et pour ne pas être rongé par le pessimisme, j'arpente les rues de l'une des deux nouvelles cités du M'zab : Tinemerine et Tafilelt pour saluer l'exploit et admirer la beauté du travail. Voilà déjà plus de dix ans que deux hommes résolus à prendre le problème du logement à bras le corps, refusant le mot « impossible », ont transformé deux collines désertes en deux bijoux urbanistiques. 

Deux initiatives indépendantes l'une de l'autre, animées par une rivalité parfois excessive, ont donné naissance à un résultat exceptionnel. Les visiteurs nationaux et étrangers, lors de leur escapade dans ces lieux, touchent du doigt la continuité d'une civilisation millénaire qui a su faire face aux nouveaux défis de notre époque, tels que la démographie et l'écologie. 

Le devoir de se lever doit nécessairement être accompagné d'une lutte permanente pour la liberté, la justice et la tolérance. Désormais, notre combat quotidien est : faire de notre Algérie un pays où règne, davantage, la force de la justice plutôt que la justice de la force. 

Nous avons perdu beaucoup de temps. Le temps n'est pas notre allié, mais notre juge. Nous vivons un siècle où nous serons de plus en plus confrontés à des enjeux majeurs : démographie, écologie, rareté des ressources naturelles (eau, énergie, …). Toute Nation sera obligée d'avancer à un rythme soutenu ou de disparaître. Il sera difficile aux peuples valides d'avancer alors qu'ils sont debout. Cela le sera davantage pour ceux qui sont encore à genoux. Quant à nous, faudra-t-il déjà se réveiller tant qu'il n'est pas encore trop tard! 

(*) Docteur en Physique 

Source : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5199107

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